Il est indéniable qu’il s’est produit un petit tremblement de terre dans le monde de la littérature féminine : E.L James a vendu des millions d’exemplaires de sa trilogie « 50 nuances de Grey » et généré des millions d’euros de bénéfices. Deux ans après sa sortie, la trilogie est toujours en tête des ventes sur les sites de ventes en ligne (6e chez Amazon.fr et continue à grappiller des places). C’est le livre le plus rapidement vendu depuis un moment aussi bien en format numérique que sur support papier. C’est le livre pour adulte le plus vendu de tous les temps. On ne va pas le comparer, bien entendu, à Harry Potter qui est aussi un best-seller, mais disons que ce n’est pas le même genre. Pour être tout à fait juste, il faudrait dire : un roman autre qu’Harry Potter, le plus rapidement vendu dans le monde. Bien entendu, 50 nuances de Grey a un contenu explicitement adulte, pour mettre les pieds dans le plat : disons… carrément sexuel, contrairement à l’angélique Harry Potter qui fait figure de Sainte Bible à côté.

La trilogie met en scène Anastasia Steele, une jeune fille, qui tombe amoureuse d’un jeune milliardaire, Christian Grey. Ce dernier apprécie le sexe uniquement s’il est formellement accompagné de châtiments corporels infligés avec style. La trame narrative est plutôt molle – les dialogues improbables (« Je suis très riche, mademoiselle Steele, et j’ai des passe-temps onéreux et passionnants ») ; une piètre description ; des tics irritants (un conflit perpétuel entre le « subconscient » de Steele, qui ne résiste jamais longtemps, et sa « déesse intérieure », qui fait constamment la moue et rêve d’affranchissement) ; et un monologue intérieur qui se traduit comme ceci… « mon dieu, qu’est qu’il est excitant ! »

Il n’y a que les rapports dominants-dominés qui intéressent Christian Grey (avec quand même des « limites strictes » – pas de brûlure, pas de matières fécales, pas de bain de sang, pas d’enfants ou d’animaux, pas de scarification, pas d’instruments gynécologiques, pas de suffocation et encore moins de décharge électrique – je paraphrase par souci de concision). Anastasia Steele, quant à elle, veut juste une relation stable, un petit ami ordinaire (quoi que, est-ce vraiment ce qu’elle veut ? … hi hi hi, passons). C’est de 50 nuances de Grey dont je parle ici. Nous reviendrons à « 50 nuances plus sombres » plus tard. Purée ! Je suis infecté par le style grave et saccadé de James. Après 1600 pages, vous le serez-vous aussi.

Il y a quelques scènes de fessée dans les romans de Jilly Cooper (Rivals, Riders), et le genre romanesque (par opposition au chicklit) verrait ses nombres de pages fondre comme neige au soleil si aucun personnage n’était attaché à un lit avec une écharpe, mais cela est une tout autre histoire. Le succès de « 50 nuances de Grey » a étonné jusqu’aux éditeurs, ces derniers pensaient savoir ce que les femmes voulaient. C’est comme si vous êtes marié à une personne depuis 20 ans et tout à coup vous découvrez qu’elle aime le fist (pour celles qui ne savent pas ce que c’est, je ne ferai pas de traduction, un seul indice cependant, fist veut dire poing…). Ceux qui aiment expliquer toutes les nouvelles tendances par les nouvelles technologies ont avancé cette explication : les femmes qui ne voulaient pas être vues avec des livres obscènes dans le métro peuvent maintenant le faire sans appréhension sur Kindle et autres lisseuses, et ceci aurait permis de relancer les ventes de toute une industrie.

L’élément inattendu c’est que la honte de la fiction érotique est en grande partie due à l’imagination, et une fois que les gens sautent le pas et lisent ce genre d’œuvre, ils sont heureux d’en parler ouvertement autour d’eux. C’est le bouche-à-oreille qui a permis de lancer la version papier de « 50 nuances de Grey » au détriment de la version électronique.

Quelle est votre position sur l’érotisme dans l’espace public ? L’autre jour, dans le métro, 3 jeunes filles en conciliabule, se délectaient de la version papier du livre (et dieu seul sait combien le lisent sur leur Kindle), dans un autre groupe, une femme murmurait à son amie : « il n’est pas un peu trop tôt pour lire ce genre de chose ? », comme s’il y avait un moment consacré à l’érotisme, et que nous savions tous quand c’était. Après le déjeuner ? Au coucher du soleil ? Ces propos sont incohérents, bien que je puisse comprendre que certains ne veulent pas s’émoustiller sur le chemin du travail.

Il est intéressant de voir à quel point la frontière entre haute et basse culture est devenue floue. Il est ainsi aussi acceptable de lire Challenges que de regarder les télés crochets, comme les différentes émissions de musique pour ne pas les citer. Parce que l’érotisme est un marché de niche qui en est à ses débuts, cette révolution culturelle a pris plus de temps à l’atteindre, même si les mentalités changent à son égard. À ce titre, « 50 nuances de Grey » emprunte le chemin tumultueux des Harlequin qui, autrefois, suscitait aussi de l’embarras.

Mais, il n’y a pas que cela. Tout d’abord, la raison pour laquelle les scènes de sexes sont difficiles à écrire tient au fait qu’il faut saisir les changements de rythme, plutôt qu’au sexe en lui-même. Il est extrêmement difficile d’écrire une histoire ordinaire entrecoupée de scène de sexe, tout comme il serait difficile de raconter une histoire parsemée de détail sexuel explicite. Voilà pourquoi les Britanniques, toujours à l’avant-garde, ont créé le « Bad Sex in Fiction Awards » qui récompense les auteurs, même les plus connus, pour leur scène de sexe peu affriolant. En essayant de décrire le sexe de façon banale, vous obtenez une scène de sexe affligeante.

Les scènes de sexe de James ne sont pas fortuites, elles sont la chaire de l’intrigue, le nœud du conflit, la clé pour au moins un sinon les deux personnages centraux. Ce n’est pas un livre avec du sexe, c’est un livre de sexe. L’auteure Catherine Millet a écrit : « Pour moi, un livre pornographique est fonctionnel, et écrit pour susciter de l’excitation. Si vous voulez parler de sexe dans un roman ou tout autre écrit « ambitieux », de nos jours, au 21e siècle, vous devez être explicite. La métaphore ne marche plus. » Je ne sais pas si les écrits de James sont aussi ambitieux, mais elle a mis un point d’honneur à ne pas être métaphorique.

Les SS auraient pu écrire des œuvres sadomasochistes, mais le problème avec les sadiques c’est qu’ils exagèrent toujours. Ils ne se préoccupent pas du côté masochiste, c’est la description de leur métier qui le leur interdit. Si le marquis de Sade pense que le commun des mortels est soumis au point d’accepter qu’on fasse des cabrioles sur son dos à le casser, il rêve ! À l’inverse, le savant mélange entre masochisme, naïveté et sadisme, voilà ce qui a fait le succès du premier tome de la trilogie.

Le second tome est plus mitigé et écrit dans la précipitation afin de monétiser la marque. Le petit côté déviant est en partie amputé, et l’évolution vers une sexualité laborieuse basée sur la domination semble habiter l’auteure. Ses fantasmes se muent à ce qu’elle voudrait comme cadeau si elle sortait avec un milliardaire (un iPad. Une Audi. Non, une Saab ! Non ça ne semble pas très cher. OK, OK, juste une Saab alors, mais avec des vêtements, et pourquoi pas un bikini à 600 euros… quel gâchis, et pourtant qu’est-ce que ça m’excite et qu’est-ce que mes seins semblent dures). Bref, l’excitation purement sexuelle a laissé place à l’excitation induite par la possession matérielle.

Maintenant nous sommes à la recherche d’un livre dont la lecture nous mettrait mal à l’aise dans le métro. Un livre qui nous ferait voir la façon dont les yeux de la lectrice brillent, et comment elle se mord instinctivement les lèvres.

Le lien entre les tomes est tellement maladroit qu’il faut aller voir ailleurs après le premier tome (« il pense qu’il ne mérite pas d’être aimé. Pourquoi ce sentiment. Est-ce à cause de son éducation ? De sa mère biologique, une prostituée camée ? »). Le besoin de l’intrigue conduit à un véritable spectacle d’horreur gothique et, dépourvu de ses déviances, Christian Grey est juste un dominateur désagréable qui, il y a 30 ans à peine, aucune héroïne saine d’esprit n’aurait consenti à épouser, mais putain de bordel de merde qu’est qu’il est chaud ce mec !

Le troisième volet de la trilogie, « 50 nuances plus claires » est… hey, qu’est-ce que je suis en train de faire ? Vous allez le lire. Bien sûr que vous allez le lire. Vous l’avez probablement déjà lu.

Résumé du livre

L’une des plus, grandes histoires d’amour de l’Amérique est aussi l’une des moins connues et des plus controversées. Thomas Jefferson, le troisième président des Etats-Unis et l’auteur de la Déclaration d’Indépendance, eut pendant trente-huit ans une maîtresse, la belle et mystérieuse Sally Hemings, qu’il aima et avec laquelle il vécut jusqu’à sa propre mort à l’abri des murs de Monticello, la plantation qu’il possédait en Virginie. Mais ce qui choqua ses contemporains ne fut pas simplement que Jefferson eût une maîtresse. Le vrai scandale vint de ce que Sally Hemings était une esclave quarteronne et de ce que Jefferson engendra avec elle une famille d’esclaves dont de nombreux descendants, connus et inconnus, vivent de nos jours. Cette liaison étrange et passionnée commença dans le Paris de 1787, où Jefferson était ambassadeur de la jeune république américaine auprès de la Cour. Sally n’avait pas alors plus de quinze ans. Du royaume de France, cet extraordinaire récit romantique entraîne le lecteur dans les antichambres du pouvoir à Philadelphie et Washington, puis le fait participer à la vie quotidienne, à la magnificence de Monticello.

Dans la nuit du 8 août 1974, de nombreux Américains se sont rassemblés devant leur téléviseur pour regarder Richard M. Nixon annoncer son intention de démissionner de la présidence des États-Unis. Ce moment fait partie du roman « Aux portes de l’éternité », le dernier, mais aussi le plus gros tome de la trilogie du XXe siècle de Ken Follett. Et pour lui, la politique et l’histoire se définissent à travers le quotidien des personnages qui composent son roman. Ainsi, un homme et une femme sont assis à regarder la chute de Nixon. Ils entretenaient des relations platoniques depuis de longues dates. Mais ce soir-là, ils applaudissent, puis s’embrassent et finissent par avoir des relations sexuelles fantastiques (durée : une demi-page sur 1213). C’est la façon préférée de Follett de rendre l’histoire intéressante.

Cette méthode est certes curieuse. Pourtant, il est arrivé à titiller l’intérêt de nombreux lecteurs à travers les deux premiers volets de sa trilogie sur les grands bouleversements mondiaux. Le premier tome, « La chute des géants », portait sur la révolution russe, la lutte pour le droit de vote des femmes, les outrages perpétrés par les aristocrates britanniques, l’histoire d’amour interdite entre une Anglaise et un espion allemand, l’ouverture du Nouveau Monde aux immigrants fuyant l’Europe pour les États-Unis, et les inquiétudes du président Woodrow Wilson sur l’implication de l’Amérique dans la Première Guerre mondiale. Ce fut délicat, car « il nous a préservés de la guerre » avait été le slogan de campagne du candidat Wilson pour sa réélection en 1916.

Pour illustrer tout cela, Follett a créé cinq familles – russe, anglaise, galloise, allemande et américaine – dont les destins personnalisent les événements historiques. Certains de ces personnages fictifs côtoient de très très près le pouvoir. De sorte que l’un de ses personnages, un Américain, puisse entrer dans la chambre à coucher de Wilson en pleine nuit pour le prévenir d’une crise, et le voir en pyjama puis en robe de chambre. Tout au long de la trilogie, les dirigeants des nations confient, de façon presque surprenante, leurs pensées les plus intimes entre les mains expertes de Ken Follett.

Le premier tome était le plus facile à digérer, avec les jeux de pouvoir entre les empires et le lecteur aux premières loges pour assister à la scène. Le second, « L’hiver du monde », couvre la Seconde Guerre mondiale, et est forcément plus choquant. Une de ses scènes les plus marquantes implique deux Allemandes, Rebecca, 13 ans, et Carla, un poil plus âgée, encerclés par des troupes russes en rut. Dans un acte de courage terrible, Carla persuade les soldats de la violer, elle, et de ne pas toucher à Rebecca.

Carla et Rebecca sont vivantes et en bonne santé au début du tome 3, « Aux portes de l’éternité ». Nous sommes en 1961. Elles vivent dans une Allemagne de l’Est qui n’a pas encore été séparée de l’Ouest par le mur. La vie de Rebecca est complètement bouleversée quand elle apprend que son mari, Hans, est un membre de la police secrète d’Allemagne de l’Est et l’a épousé uniquement pour pouvoir espionner sa famille. Étant donné que les personnages de Follett ont tendance à être soit très angéliques, soit très machiavéliques, Hans fera son apparition de temps à autre dans le livre pour tourmenter les proches de Rebecca.

Ken Follett compare un peu vite la privation de liberté des individus en Allemagne de l’Est à la situation des Noirs privés de droits civiques dans le sud des États-Unis. Chacun appréciera cette comparaison à sa manière, mais elle permet d’introduire le personnage de George Jakes, un métis étudiant à Harvard et dont le grand-père, Lev, a fui la Russie dans le premier tome. Le père de George est un sénateur blanc, qui l’aime énormément, mais refuse de le reconnaître officiellement comme fils. George est un personnage formidable, et Follett le met au centre de tous les événements historiques importants. La description dans le livre de ce qui arriva au bus rempli de Freedom Riders (parmi lesquels George) dans l’Alabama est absolument terrifiante. La description de l’héroïsme de George semble crédible, trop crédible.

Plus tard, George, devenu avocat, représentera le quota de visage noir (tout du moins, il le récent ainsi) dans l’entourage du procureur général Robert F. Kennedy. Pendant ce temps, un autre personnage noir du livre est présenté comme l’une des amoureuses préférées de John F. Kennedy. Les détails des frasques amoureuses du président Kennedy, jusqu’à son penchant pour les canards en plastique, proviennent tout droit du roman « Une singulière histoire d’amour » de Mimi Alford paru en 2012. Mais c’est une manœuvre habile, dont Follett a le secret, que de lier le destin de George au chagrin de cette femme le jour où on lui apprendra que « son Johnny », comme elle aimait à l’appeler, a été abattu.

Ken Follett est très critique quant à l’engagement réel des Kennedy dans la promotion des droits civiques, surtout lorsque cet engagement est devenu politique. Mais, il ne laisse jamais un débat politique s’enliser très longtemps. Plus loin, un personnage haut placé au Kremlin, Dimka Dvorkin (petit-fils de l’agitateur bolchevik du premier livre), réussit à se hisser aux côtés de Nikita S. Khrushchev, et incite tous les dirigeants russes à le suivre, plongeant le lecteur dans les rouages de la politique communiste. Dvorkin est élevé au rôle de mentor au moment où un jeune et brillant réformateur nommé Gorbatchev fait son apparition.

Également abordé dans le livre, mais assez timidement : le petit tremblement de terre culturel qui a commencé au milieu des années 60 et atteint son paroxysme vers la fin de la décennie. Un long chapitre couvre les événements tumultueux de 1968, assez pour secouer George et l’éloigner de la politique, au moins pour un temps. La guerre du Vietnam est présentée sous son aspect le plus terrible. Le décès de Nixon, les frémissements d’un nouveau conservatisme et le fiasco de l’Irangate (vente illégale d’armes à l’Iran par l’administration Reagan), tout y passe. Ken Follett marque un point en qualifiant la déclaration enthousiaste de Ronald Reagan « Monsieur Gorbatchev, abattez ce mur ! » de démagogie maladroite plutôt qu’un moment de gloire. Le livre a aussi des opinions bien arrêtées sur les raisons de la chute du communisme.

« Aux portes de l’éternité » se termine sur un épilogue relatant l’investiture de Barack Obama en 2008 à la présidence américaine. Ce soir-là, intrigué par l’émotion d’un vieil homme, un enfant demande à ses parents : pourquoi le vieux monsieur est-il si ému ? Ils lui répondent que « c’est une longue histoire ». Cela résume en une phrase le siècle, une trilogie historique longue, mais fort intéressante et très agréable à lire.

Une collection d’histoires fantastiques et courtes datant de 1895 connait un regain d’enthousiasme grâce à la série « True Detective » diffusée sur HBO (OCS City en France).

Bien que considéré comme un classique par les fans du genre, « Le roi en jaune » est à peine connu du grand public, tout du moins c’était le cas avant la diffusion de la série policière sombre mettant en scène Matthew McConaughey et Woody Harrelson avec des dialogues ressemblant plus à du Dostoïevski qu’à du Starsky et Hutch.

Le premier épisode de la série porte sur le meurtre rituel d’une jeune femme, Dora Lange, en Louisiane en 1995. Rust Cohle (McConaughey) et Martin Hart (Harrelson) enquêtent sur un assassinat similaire en 2012. Il n’y avait pas beaucoup d’indices dans ce premier épisode, hormis une référence au « roi » lors d’un interrogatoire au parloir d’une prison, mais depuis les indices s’accumulent montrant un lien plus fort entre la série et le roman.

Le journal intime de la première victime cite des pans entiers du « roi en jaune », mais c’est quoi « le roi en jaune » au juste ?

En plus d’être le titre du livre de Chambers, le Roi en Jaune est aussi le nom d’un jeu fictif qui se déroule tout au long des 10 histoires courtes qui composent le roman. Ces dernières sont des « fictions bizarres », avec une qualité propre aux romans datant de la fin du siècle dernier, et étonnamment contemporain en raison de leurs origines Victoriennes. Toutes les histoires ne sont pas construites autour du « Roi en Jaune », mais son ombre plane, de façon quasi surnaturelle, sur tout le livre.

Dans la tradition des histoires interconnectées, « le Roi en Jaune » est un texte maudit qui attire le lecteur dans un premier Acte banal, avant de le plonger dans le désespoir et la folie dans le second.

La meilleure histoire du livre est peut-être la première, « le réparateur de réputation ». L’histoire se déroule dans le futur, en 1920, dans une Amérique en plein essor après une guerre avec l’Allemagne. Dans ce futur, le gouvernement donne son aval dans la création de chambres pour ceux qui veulent mettre fin à leur jour. Le narrateur de l’histoire, Castaigne, rencontre un homme du nom de Wilde, qui propose à de pauvres diables de « réparer leur réputation » en échange de généreux honoraires…

Né à Brooklyn en 1865, Chambers était un écrivain frénétique. Après le jaune décadent, il s’est reconverti à l’eau de rose avec des romans romantiques non sans succès. Mais c’est le Roi en Jaune qui le place dans le panthéon des « fictions bizarres » aux côtés d’Ambrose Bierce (« Le dictionnaire du Diable ») et HP Lovecraft (« Le mythe de Cthulhu »). La frénésie collective, suscitée par « True Detective » un siècle après, donne raison à Robert W. Chambers quand il nous mettait en garde en disant que « Le roi en jaune » rendait réellement fou !

Nous sommes nombreux à avoir vu des films, dessins animés et autres bandes dessinées sur le naufrage de Robinson Crusoé sur l’île de l’espérance ou du désespoir (suivant l’auteur), mais le livre de Michel Tournier est le premier roman que je lis à propos de cette histoire. Ce livre intitulé « Vendredi ou la vie sauvage » est une adaptation de son roman précédent « Vendredi ou les limbes du Pacifique », lui-même adapté du roman de l’anglais Daniel Defoe « Robinson Crusoé » paru en 1719. Vous suivez toujours ? Bien.

On retrouve donc Robinson Crusoé à bord de la Virginie en route vers le Chili. Malheureusement, son bateau fait naufrage et tout l’équipage meurt excepté lui et un petit chien, Tenn. Robinson passe donc de très longues journées de solitude sur une île déserte qui baptisa « Speranza », naviguant entre désespoir total et tentative d’évasion de l’île. Cette partie du livre tend, à mon sens, à dénoncer les travers d’une société dite « civilisée » avec cette envie de tout maîtriser, tout contrôler, tout domestiquer. On y dénonce la paresse, le découragement, l’oisiveté et pourtant les millions de personnes qui se réveillent chaque matin pour aller travailler, bien que n’étant pas paresseux ils ne semblent pas heureux non plus, esclaves des envies créées par la société et le petit boulot morne et terne nécessaire pour assouvir ces envies.

« La pauvreté prive un homme de toute vertu : il est difficile à un sac vide de se tenir debout. »

« Si le second vice est de mentir, le premier est de s’endetter, car le mensonge monte à cheval sur la dette. »

Robinson passe lui-même par quelques péchés capitaux avant de se ressaisir. Il s’auto nomme gouverneur de Speranza et promulgua des lois pour le bon fonctionnement de l’île. Il ne tardera pas à appliquer ces lois sur un indien qu’il sauvera d’une mort certaine. Il nommera ce dernier « Vendredi », qui correspond au jour il l’avait recueilli.

La deuxième partie du livre est consacrée à la civilisation du « sauvage ». Robinson va ainsi apprendre à Vendredi l’anglais, le gout de l’effort (en gros, il le transforme en esclave) et la pudeur si chère aux Britanniques. Jusqu’au jour où notre indien, civilisé donc, va faire voler en éclat tout ce que Robinson avait durement construit depuis son naufrage sur l’île. Robinson, privé de ses outils modernes et de son organisation quasi militaire, laisse maintenant Vendredi mener la danse. Ce dernier apprend à son ancien maître comment on peut vivre en harmonie avec la nature, travailler pour vivre et non pas vivre pour travailler et surtout les bienfaits de l’oisiveté. Robinson ne tarda pas à y prendre gout d’ailleurs.

La vie suivait tranquillement son cours, lorsqu’un jour un bateau anglais, le Whitebird, accosta aux abords de l’île. Il passait par là par le plus grand des hasards et l’équipage ne voyait aucun inconvénient à délivrer Robinson de sa vie sauvage et de solitude. Ce dernier ayant trop pris gout à sa vie sur l’île ne voyait maintenant que les travers de la société civilisée qu’il glorifiait avant. Il dut prendre une décision difficile que je vous laisse découvrir dans le livre. Vendredi prendra lui aussi sa décision fatidique qui l’arrachera de son paradis pour le conduire directement en enfer, mais ça, il ne le savait pas encore.

« Dans un groupe d’hommes, celui qui ne ressemble pas aux autres est toujours détesté » et Vendredi allait en faire l’expérience une seconde fois !

Patrick Modiano, l’écrivain français dont les romans maussades, laconiques et parfois oniriques parlent de l’époque de l’occupation nazie en France, a remporté le Prix Nobel de littérature 2014 ce jeudi.

Peter Englund, le secrétaire permanent de l’Académie suédoise, qui décerne le prix, a appelé M. Modiano « un Marcel Proust de notre temps », notant que ses œuvres entrent en résonance avec d’autres thèmes et sont «toujours des variations de la même chose : la mémoire, la perte, l’identité, la recherche « .

Les fans et les éditeurs de M. Modiano, 69 ans, ont célébré sa victoire comme une chance pour lui d’acquérir enfin une reconnaissance internationale pour un travail qui s’étend sur près de cinq décennies, et la reconnaissance de la littéraire française dans la lignée de ses compatriotes romanciers Jean-Paul Sartre et Albert Camus.

«Ce prix aidera à mieux faire connaître, au niveau mondial, l’un de nos écrivains le plus accomplis », a déclaré Anne Ghisoli, la directrice de la Librairie Gallimard, une librairie à Paris qui est détenue en majorité par l’éditeur de M. Modiano, Gallimard. « C’est un maître de l’écriture sur la mémoire et l’occupation, qui hante et nourrit son travail. C’est un chroniqueur de Paris, ses rues, son passé et son présent « .

Le Président François Hollande a félicité M. Modiano, disant dans un communiqué: « La république est fière de la reconnaissance, par ce prix Nobel, de l’un de nos plus grands écrivains. Patrick Modiano est le 15e français à recevoir cette éminente distinction, confirmant la grande influence de notre littérature « .

M. Modiano, qui a publié environ 30 ouvrages, dont des romans, des livres et des bandes dessinées pour enfants, s’est fait connaître en 1968 avec son roman, « La Place de l’Étoile. » Beaucoup de ses œuvres de fiction ont lieu à Paris pendant la Seconde Guerre mondiale, et certaines jouent avec le genre policier. Ses œuvres ont été traduites dans le monde entier, et une douzaine de ses livres ont été traduits en anglais. Mais il n’est pas très connu hors de France. Un de ses livres, «Rue des Boutiques Obscures», a remporté le prestigieux Prix Goncourt en 1978, mais s’est vendu à seulement 2425 exemplaires aux États-Unis.

En France, les livres de M. Modiano connaissent un grand succès, en partie à cause de leur style lapidaire et compact. Ses œuvres les plus célèbres sont: « «Rue des Boutiques Obscures » un thriller existentiel d’un homme qui parcourt le monde pour essayer de reconstituer son identité; « Dora Bruder », une enquête sur la disparition d’une jeune fille juive en 1941; et « Du Plus Loin De L’Oubli », un roman hallucinatoire racontée par un écrivain d’âge mûr.

Un grand bravo à M. Modiano qui fait pour ainsi dire la fierté de toute une nation.

On vous parle, il y a quelque temps, de l’arrivée du Kindle Unlimited au Royaume-Uni, après un lancement en grande pompe aux États-Unis.

Lire Amazon lance le Kindle Unlimited au Royaume-Uni.

Cette offre (alléchante ?) fait son arrivée en France au tarif de 9,99 euros par mois et pour ceux qui s’inscriront avant le 11 janvier 2015, vous ne paierez que 0,99 euro pour le premier mois. Une bonne façon de tester ce service.

À noter que l’offre est sans engagements et le client a la possibilité de se désinscrire à tout moment. Il y a quelques limitations tout de même, comme la détention de seulement 10 livres en simultanés.

La boutique propose pour l’instant 700 000 œuvres dont 20 000 livres en français. Si vous vous êtes laissé tenter, donnez-nous votre avis dans les commentaires.

Il y a deux écoles de pensées quand il s’agit de Nicolas Sparks. Soit vous aimez son travail, ou vous vous extasierez s’il arrête l’écriture. Il n’y a pas de juste milieu. Je pensais savoir de quel côté j’étais, mais maintenant je n’en suis pas si sûr.

J’ai lu quelques romans de Sparks, mais je serai incapable de vous dire de quoi ils traitent à l’exception du dernier que je viens de lire : « Chemins Croisés ». Mais tous ses romans ont la même structure : une femme – ou parfois un gars – avec des secrets inavouables rencontre une âme sœur qui l’aide à tourner la page de son passé et ensemble, ils vivent heureux pour toujours. Généralement, un autre personnage tombe malade, peut-être même meurt, mais ceci resserre encore plus les liens du couple.

Ce livre ne fait pas exception à ce schéma. Se déroulant en Caroline du Nord, « Chemins Croisés » tisse un lien entre deux histoires d’amour. La première est celle d’Ira Levinson, 91 ans, et son épouse Ruth. Nous rencontrons Ira, qui est gravement blessée et pris au piège dans sa voiture après qu’elle a foncée sur la glissière de sécurité et s’est retrouvé au fond d’un ravin.

Dans son délire, Ira voit sa bien-aimée Ruth, qui est décédée 9 mois plus tôt. Alors qu’il se bat pour rester en vie, Ira écoute Ruth lui parler des nombreuses et merveilleuses années qu’ils ont passées ensemble.

L’autre histoire tourne autour de l’amour naissant entre Sophia Danko, principal de l’Université Wake Forest d’histoire de l’art, et Luke Collins, éleveur de taureaux et champion de rodéo. Mais Luke cache un secret qui pourrait mettre un terme à leur relation – et à sa vie.

En fin de compte, les deux histoires d’amour s’entrecroisent – dans une fin que je n’ai pas vu venir – avec Luke et Sophia, plus amoureux que jamais, marchant main dans la main sous un magnifique coucher de soleil, aidé par l’infortuné Ira. Je l’avoue, j’ai eu une petite larme à l’œil.

Stéréotypé ? Évidemment. Mais cela n’a pas beaucoup d’importance pour moi, car à la sortie de son prochain livre j’aurai déjà tout oublié sur le précédent.

Généralement, les lecteurs ne lisent pas Sparks parce que c’est de la grande littérature. Ce n’est pas Hemingway. Les romans de Sparks détournent généralement l’attention. On peut toujours compter sur lui pour évoquer les méandres d’une histoire captivante – stéréotypée ou non – et les envelopper dans une fin inattendue.

Généralement dans les œuvres de Stephen King, il y a un mélange de naturel et de surnaturel. Dans son roman « 22/11/63 », c’est un simple trou de lapin, reliant le présent au passé, qui s’ouvre à Lisbonne Falls, un coin désolé du Maine.

À l’une des extrémités du trou, on est en 2011. Un restaurant impopulaire est finalement racheté par LL Bean. Le restaurant – et le portail temporel à l’intérieur – échappe ainsi à la destruction.

De l’autre côté se trouve l’Amérique sous Eisenhower. Les usines débitent de la fumée blanche en continu. « Vertigo » est diffusé au cinéma en plein air pour la première fois. Et John Kennedy, le jeune sénateur du Massachusetts, est encore vivant.

Les règles du trou de lapins, reliant le passé et le présent, sont décrites dans les premières pages du roman. Al Templeton, le propriétaire du restaurant, les explique à Jake Epping, professeur d’anglais au lycée local. Aller à l’arrière de la remise. Faites attention à l’ampoule au plafond. Attendez-vous à être incommodés par une forte odeur de soufre. Et continuer d’avancer jusqu’à ce que vous sentiez vos pieds se dérober sous vous.

Tout à coup, vous vous retrouvez dans le passé, à la date du 9 septembre 1958 exactement. Il est 11 h 58. Il y a, dit Al, seulement deux conditions. Premièrement, ce n’est pas un voyage en sens unique. Il ne doit pas l’être. Mais quand vous revenez, peu importe combien de temps vous avez séjourné dans le passé – cinq jours, 10 dix ans… —, seulement deux minutes se seront écoulées dans le présent. Deuxièmement, chaque fois que vous retournez dans le passé, tout redevient comme avant et les compteurs sont remis à zéro. Exactement comme une ardoise magique. Il sera 11 h 58, et tout ce que vous avez fait pendant votre précédent voyage aura été effacé.

Avec cela, Stephen King rend les mécanismes du voyage dans le temps simple et nous fait ainsi grâce du « paradoxe du grand-père » (« Que se passerait-il si vous remontiez dans le temps et que vous tuez votre grand-père ? », pourquoi diable voudriez-vous faire cela ?).

Il y a une raison à cela : King est à la recherche de quelque chose d’encore plus grand que les voyages dans le temps. « 22/11/63 » est une réflexion sur la mémoire, l’amour, la perte, le libre arbitre et la nécessité. C’est un livre truffé de réponses à des questions du genre : un seul homme peut-il changer les choses ? L’histoire peut-elle être modifiée, ou reviendrait-elle à son état initial comme un élastique ? Est-ce que l’amour peut tout vaincre ? Autant de questions existentielles.

Quant à Al – les rumeurs disent qu’il fait ses burgers avec de la viande de chien, ou de chat –, il est en train de mourir à petit feu d’un cancer du poumon. Il fait appel à Jake afin de faire ce qu’il ne peut pas : arrêter Lee Harvey Oswald. Ceci est un scénario magnifique. « Sauver Kennedy. Son frère. Martin Luther King. D’empêcher les émeutes raciales. Empêcher le Vietnam, peut-être. [ … ] Sauver des millions de vies, copain, en se débarrassant d’un seul pauvre égaré ».

Jake Epping est un enseignant exténué, divorcé d’une femme alcoolique, et qui n’a rien de mieux à faire que de disparaître dans le passé. Epping arrive dans le passé avec un nouveau nom, George T. Amberson – comme si un voyage dans le temps nécessitait une nouvelle d’identité – et une mission claire. Corriger le passé. Défaire certains fléaux du 20e siècle.

Cependant, une fois en 1958, Amberson est immédiatement confronté à un double mystère : le mystère de ce qui s’est alors réellement passé, et celui de ce qui pourrait se passer autrement.

Avant que George/Jake puisse changer le cours de l’histoire, il doit d’abord savoir ce qui s’est réellement passé. Était-ce Oswald qui a tiré de l’entrepôt ? Était-ce une conspiration ? Y avait-il un autre tireur ? Et que dire de George Mohrenschildt, un personnage du livre, obsédé par l’hypothèse de la conspiration ? Ce sont les incertitudes cauchemardesques d’un événement qui a été analysé dans tous les sens, et qui n’a jamais été réellement compris.

Une fois à Dallas, Amberson passe des années à essayer de faire la connaissance d’Oswald, ne pouvant pas tout simplement défoncer sa porte. Il achète des magnétophones et des dispositifs d’écoute à distance, déménage dans des quartiers malfamés, piste Oswald alors qu’il cache soigneusement son fusil. Oswald était quelqu’un de désagréable à l’ordinaire. Émotif, violent envers sa femme, peu sûr de lui et désespéré de changer un monde qui ne tourne pas rond.

Dans « 22/11/63 », on entrevoit le halo maléfique qui entoure le monde. Il n’y a pas de crime simple. Chaque acte de violence ou de cruauté est en quelque sorte associé – harmonisé, suggère King – avec tous les autres actes. Dans le passé, Amberson apprend qu’il n’y a pas d’accidents, pas d’inadvertances. Juste une machine infernale qui, quand elle se met en marche, écrase tout sur son passage.

Il y a un macabre « Et si » dans cette histoire. Et si Kennedy n’avait pas été assassiné ? Peut-être que l’Amérique ne se serait pas engagée dans la guerre du Vietnam. Et si l’Amérique ne s’était pas engagée dans cette guerre, alors les conséquences de ce non-engagement n’auraient-elles pas été pires que d’y aller ? Avec des si, on refait le monde c’est bien connu. Mais parfois l’histoire est trop forte pour être changée et vouloir l’altérer ne peut que conduire à des conséquences encore plus dramatiques.

L’histoire personnelle d’Amberson est elle-même poétique et émouvante. Il tombe amoureux de Sadie, la nouvelle bibliothécaire de la ville de Jodie, dans le Texas, son nouveau chez lui. Je ne vous en dis pas plus.

King dépeint quelques choses de magnifiques dans ce roman. Serait-ce le sens profond de la réalité ? Plus vous vous rapprochez de l’histoire, plus elle devient mystérieuse. Il s’agit là d’un livre profondément romantique et pessimiste à la fois. Il est romantique quant aux réelles possibilités de l’amour et pessimiste sur tout le reste.

Dans les autres romans de King plus ouvertement surnaturel, la routine est cassée par une horreur indicible. Dans « 22/11/63 », le quotidien contient l’horreur en son sein, quelque chose de réel et de familier. Il est indifférent à la vie humaine et il est inévitable. Il s’agit du temps.

Six ans après avoir perdu son seul et véritable amour au profit d’un autre homme, Jake Fisher est toujours hanté par les souvenirs et les questions. Était-ce juste une romance d’été ? Une brève évasion du monde réel ? Jake ne croit guère à cela. Sur sa voie pour être professeur, terminant la rédaction d’une thèse en science politique dans une retraite dans le Vermont, il rencontre Natalie, une peintre, en bas de la route. C’est alors que soudainement, elle se marie avec un ancien petit-ami, et Jake avait accepté, à sa demande, de les laisser tranquilles. Jake est un homme qui tient toujours parole … tout du moins jusqu’à ce qu’il apprenne la mort du mari de Natalie. Étant désormais libre, Jake peut bien lui tendre la main de nouveau, n’est il pas ?

Ce mariage au début du roman est rapidement suivi par un enterrement, où Jake espère renouer avec la fraîchement veuve Natalie. Le seul problème : la femme avec le grand chapeau noir n’est pas Natalie et les enfants du défunt sont trop vieux pour être la progéniture d’un second mariage. Pour compliquer le tout : lorsque Jake appelle la sœur de Natalie, elle ne le connait pas. À son retour dans le Vermont, aucun de ces visages jadis familiers ne se souvient de lui.

A-t-il imaginé toute cette histoire d’amour ? Le meilleur ami de Jake avance cette possibilité. Il a traversé des moments difficiles, il n’y a pas si longtemps après tout. Mais Jake en sait plus. Et les indices suggèrent que quelque chose de sinistre est en train de se dérouler. Il s’avère que le prétendu mari de Natalie a été assassiné, quelqu’un semble avoir suivi Jake alors qu’il rentrait du Vermont, et puis il reçoit un email qui pourrait bien être de Natalie elle-même.

Les lecteurs de Harlan Coben savent qu’il est mètre dans ce type d’intrigue : une vie qui s’écroule soudainement, l’évocation du passé dans un rapide changement du présent, l’épluchage des secrets pour révéler encore plus de secrets (les cinéphiles se souviendront du film « Ne le dis à personne » adapté d’un de ses plus célèbres romans). Avec « Six ans déjà », l’auteur montre une fois de plus qu’il n’a rien perdu de son talent. Ce qui est impressionnant ici, c’est à quel point l’histoire est justement construite, avec l’intrigue qui se répète à plusieurs reprises sur elle-même, ne se déplaçant jamais loin des sentiers battus. La beauté de l’œuvre de Coben est, qu’encore une fois, il arrive à nous leurrer en cachant son intrigue clairement juste devant nos yeux, mais nous ne la percevons pas, pas avant la fin.

En tant que narrateur, Jake est assez expansif et sympathique, ce n’est pas qu’il aime parler, il est carrément bavard, même dans les scènes tendues (je me souviens de cette scène où il disserte de l’adrénaline alors qu’il est poursuivi par des bandits armés jusqu’aux dents). Sa détermination contre vents et marrées semble tout à fait naturelle, aussi : son amour triomphera !

Mais la description de la profondeur de cet amour est un point faible du roman. Lorsque Jake nous offre un grand monologue en expliquant pourquoi il ne peut pas se passer de Natalie, il est question de moments à lui couper le souffle, de vivre que pour son rire, de ne voir que par ses yeux, de regretter tous les moments passés loin d’elle et, finalement de juste écouter son cœur… À la décharge de Coben, il semble reconnaître que la description des sentiments dans son roman fait clichés. Jake ferra d’ailleurs une blague là-dessus.

Au milieu des furieux rebondissements et ces denses connexions toujours plus épaisses, l’expression émotionnelle n’est pas ce qui habite le plus ce roman. Mais quand Jake réalise ce qui est en train de se passer, « Six ans déjà » offre un récit poignant à hauteur de ses sentiments. Les événements qui vous définissent, les souvenirs qui constituent votre vie – et s’ils étaient tous embourbés dans la confusion, construite sur un malentendu, ou pire un mensonge flagrant ? Que faire si vous étiez responsable, en partie, des faux pas qui ont contribué à changer le cours des choses ? Autant de questions subtiles que soulève ce roman.

Avec ses séries de romans, Jody Picoult a prouvé depuis longtemps qu’elle excellait comme narratrice. Maintenant, elle écrit un livre intitulé « Pardonne-lui » dont les personnages sont eux-mêmes des narrateurs. Ce livre est rempli du style particulier de Picoult, sa façon de se servir des mots et sa capacité à faire de n’importe quelle histoire un récit moderne et innovant. Ceci est très important parce que le sujet de « Pardonne-lui » est l’Holocauste, un sujet qui a été examiné dans à peu près toutes les manières possibles et imaginables.

Le personnage principal de « Pardonne-lui » est Sage Singer, une jeune femme meurtrie par le chagrin et qui participe à un groupe de soutien. Elle est dans ce groupe à cause du décès récent de sa mère. Cette dernière est morte à la suite d’un accident de voiture dans lequel Sage était au volant. L’accident a laissé des cicatrices profondes sur le visage de Sage, d’où sa réticence à apparaître en public. Aussi, elle accepte un emploi de boulangère qui lui permet de travailler de nuit et échapper ainsi aux yeux de ses semblables.

Dans son groupe de soutien, il y a aussi un enseignant retraité du nom de Josef Teller. Il est assez âgé, mais au fil de leurs réunions il se prend d’affection pour Sage et la considère peu à peu comme une amie. Plus tard, il lui demandera de l’aider à mettre fin à ses jours. Elle est bien entendu horrifiée par cette demande, mais ensuite il lui révèle qu’il servait dans l’Armée d’Hitler pendant la Seconde Guerre mondiale et qu’il a fait des choses horribles aux Juifs.

Sage n’est pas une Juive pratiquante à l’instar de sa grand-mère. Cette dernière faisait également partie des gens de confessions juives qui ont été persécutés pendant la guerre. Alors que Sage essais de prendre sa décision concernant Teller, il commence à lui raconter son histoire. En parallèle, sa grand-mère lui raconte également son histoire. Ces deux histoires, racontées du point de vue de la victime et du bourreau, aident Sage à prendre sa décision.

Picoult est une narratrice si magistrale que les deux histoires prennent vie de façon éclatante à travers les pages du livre. Les horreurs de la guerre sont révélées avec force détails, mais l’impact de ces récits est, en quelque sorte, muet. Nous savons que ces deux personnages ont survécu malgré tout ce qu’ils ont pu vivre. Ceci rend leurs histoires moins pénibles à lire.

Sage est aussi un personnage qui attire de la compassion. Elle est indécise, pleine d’insécurités et en contradiction avec sa vie. Sa sérénité, face aux histoires qu’elle entend, rend le récit aussi plus facile pour le lecteur et lui évite de tomber dans la passion. Tout du moins, on arrive à naviguer dans l’histoire sans être aussi touché et horrifié face à tant d’horreur.

La patte particulière de Picoult est toujours présente : l’attention portée aux détails, le point de vue narratif de plusieurs personnages plutôt qu’un seul, et une touche finale qui sera une surprise pour certains lecteurs.

Cela fait quelques années – cinq exactement – depuis ma dernière rencontre avec le personnage principal, Robert Langdon, des romans de Dan Brown. À chaque fois, par son ingéniosité, Langdon a pu résoudre les mystères qui se dressaient sur son chemin à travers les trois premiers volets de la saga de Dan Brown : Anges et Démons (2000), Da Vinci Code (2003), Symbole Perdu (2009).

On se souvient de l’engouement médiatique qui a suivi la sortie du « Da Vinci Code » en France. Dans la foulée, le livre a été adapté au cinéma avec notamment le sympathique Tom Hanks et la sexy Audrey Tautou dans les rôles principaux. Depuis, Dan Brown est devenu un auteur familier dans la littérature française. Et son succès s’est confirmé avec la sortie du Symbole Perdu en 2009.

Pour clore cette tétralogie, Dan Brown remet en selle Langdon Brown dans un nouvel opus nommé « Inferno ». Pour être tout à fait honnête, je suis toujours excité à la perspective de lire un roman de Dan Brown, et savoir que c’est le dernier de la série, donne un gout particulier au livre. Ayant lu les précédents opus, j’imaginais déjà ce qu’il pouvait faire dans celui-là. Au fil des opus, il a perfectionné l’art du suspense. Aussi, après avoir terminé un chapitre, le lecteur n’a qu’une envie : se plonger dans le chapitre suivant afin d’en découvrir plus sur les méchants, le tout sur toile de fond historique. Les 600 pages du roman se lisent donc d’une traite sans que le lecteur s’ennuie une seule seconde. Ceci est une forme d’art dont Dan Brown et quelques autres ont le secret.

Ce qui m’amène à évoquer comment le lecteur sait qu’il a atterri dans un roman de Dan Brown : un personnage est sur le point de rendre l’âme – un personnage ratatiné qui est le seul à détenir un secret crucial. Plutôt que d’indiquer clairement l’emplacement de l’objet précieux sur les serviettes froissées qu’il a à disposition, il les utilise pour concocter une chasse au trésor créative et ésotérique dans une ville étrangère.

Cette ville dans « Inferno » est Florence. Langdon s’y réveille à l’hôpital avec une blessure à la tête qui l’empêche de se souvenir des raisons de sa présence en Italie. Heureusement, Sienna – une femme au QI prodigieux – est prête à le transporter sur son cyclomoteur afin de l’aider à comprendre sa situation : remonter jusqu’aux événements d’avant son amnésie et apprendre comment la « Divine Comédie » de Dante pourrait les aider à déjouer les complots posthumes d’un génie du mal. Ce périple commence avec la découverte, dans les poches de Langdon, d’un petit projecteur qui affiche une interprétation picturale de la vision de l’Enfer par Dante.

Pendant ce temps, ils sont poursuivis par 3 personnages : une énigmatique meurtrière, un énigmatique chercheur dans l’Organisation mondiale de la Santé et un énigmatique homme d’affaires qui dirige une organisation appelée le Consortium – une espèce de service secret qui s’occupe de régler les frasques des gens riches (non, non, il ne s’agit pas d’Olivia Pope).

Dan Brown soutient dans sa préface que tous les faits relatés dans son roman sont réels… Mais cela dépasse l’entendement. D’abord, l’artéfact utilisé dans son roman est considéré comme reproduction après une recherche rapide sur internet – sur Wikipédia pour ne pas le citer. Et, le Consortium qu’il dit réel (pourquoi pas après tout ?), mais alors : pourquoi une telle organisation aurait son siège sur un yacht géant amarré en pleine mer Adriatique !?

Peu importe. Ce qui est amusant dans les ouvrages de Dan Brown, c’est de jouer le jeu et de considérer toutes ses allégations comme étant réelles. Brown excelle quand il s’agit de duper le lecteur et lui faire croire que les livres poussiéreux et les passages secrets moisis recèlent une ancienne conspiration mondiale. « Inferno » est truffé de références de ce genre.

Ironiquement, l’un des mystères les plus convaincants dans « Inferno » ne concerne pas l’histoire de l’art, mais le futur de la science – avec des questions de fond sur l’explosion démographique et la responsabilité de l’humanité envers la Terre mère. Cela aurait été intéressant de développer un peu plus ces points, mais ce genre de roman pourrait voir le jour dans un stérile congrès sur la santé publique, plutôt que dans les rues pavées italiennes. Et Robert Langdon n’en serait surement pas l’acteur principal.

Parlons justement de Robert Langdon. Il est prétentieux, intarissable sur ses costumes sur mesures, mais il entretient des relations respectueuses, principalement platoniques avec les femmes brillantes et intimidantes qu’il rencontre. Bon, les cinéphiles se souviendront d’une tout autre relation entre Tom Hanks et Audrey Tautou… Mais de nos jours, un film où l’acteur principal « n’emballe » pas une femme n’est pas très excitant au gout du public… Bref.

Lire « Inferno », c’est apprendre un tas de choses intéressantes sur la « Divine Comédie ». C’est aussi voir un homme intelligent faire des déductions perspicaces sur la symbolique de la Renaissance. Mais remarquez qu’en homme moderne et intelligent, quand il s’agit de s’enfuir pour sauver sa vie, il laisse le volant à une femme. James Bond devrait en prendre de la graine !

John Green est probablement l’un des auteurs les plus novateurs de la littérature pour adolescents. Son livre le plus connu à ce jour est sans doute « Nos étoiles contraires ». L’histoire tourne autour d’une jeune fille nommée Hazel qui est atteinte d’un cancer.

Hazel rencontre un garçon du nom d’Augustus, dont elle tombe éperdument amoureuse. A eux deux, ils essaient de faire face à la fois au cancer, mais aussi à leur idylle naissante et discutent surtout de livres. Cette histoire est magnifiquement écrite. La mise en abyme avec des références au livre, dont tous les deux sont fans (Une impériale affliction d’un certain Peter Van Houten), a un petit côté « Le Troisième Policier » de Flann O’Brien que les amateurs du genre apprécieront. La trame narrative est absolument fantastique, les personnages sont crédibles et attachants. Hazel et Augustus sont dépeints de façon magistrale et cerise sur le gâteau, ils sont drôles. Il ne s’agit pas ici d’un roman sur la maladie, même si certains passages ont tendance à faire croire le contraire.

« Nos étoiles contraires » est un roman d’amour entre deux jeunes personnes, dont l’une a le cancer. Il y a aussi une certaine tendance philosophique dans le roman avec des discussions sur la signification de la vie et de la mort.

Bien sûr, il est difficile de parler de nos étoiles contraires sans parler de la « brillante » adaptation au cinéma. Elle est à la hauteur du roman et le sublime même – ce qui est rare dans les adaptations cinématographiques. Pour moi, le roman et le film ne font plus qu’un, chacun dépendant l’un de l’autre. Dans ma mémoire, Augustus sera toujours Ansel Elgort – l’acteur qui tient son rôle au cinéma.

Je recommande vivement ce livre. Il est beau, passionnant, drôle… en un mot : magnifique ! Il montre comment une vie courte peut-être infiniment longue, même si c’est dans une moindre mesure. Il est fascinant, divertissant et éducatif, offrant, aux plus jeunes d’entre nous, la possibilité d’explorer en douceur des questions philosophiques importantes.

Et à la fin, j’ai eu quelque chose dans l’œil (pour la deuxième fois, après « Qui es-tu Alaska ? »), mais ce n’était qu’un grain de poussière, je vous assure…

Vous ne me croyez pas ? Eh bien, vous avez bien raison !

Petit bonus : Le titre du livre est inspiré de l’œuvre « Jules César » de William Shakespeare dans laquelle Cassius dit à Brutus :

« The fault, dear Brutus, is not in our stars, But in ourselves, that we are underlings. »

« Si nous ne sommes que des subalternes, cher Brutus, la faute en est à nous et non à nos étoiles. »

C’est beaucoup plus parlant en anglais puisque le titre original du roman est « The Fault in Our Stars ». Une belle façon de détourner les propos de Cassius.

Certains thèmes semblent usés dans la fiction juridique. L’histoire d’un bon avocat qui fait plier une grosse société à l’éthique douteuse, malgré les obstacles apparemment insurmontables qui se dressent sur son chemin, a été visitée, revisitée et mise à toutes les sauces. John Grisham est bien au fait de cela, mais pendant que son roman « Les Partenaires » contient tous les ingrédients d’une histoire classique de David contre Goliath, il s’avère être bien plus que cela.

C’est vrai, le héros principal du roman est un David. David Zinc, 31 ans, avocat d’entreprises, qui a passé les cinq dernières années de sa vie à trimer pour Rogan Rothberg, un prestigieux cabinet d’avocats de Chicago, qui est « cinquième par le nombre d’heures facturées par avocat … premier si l’on compte le nombre de nazes au mètre carré ». Un matin, il en a eu assez, il prend alors l’ascenseur pour se rendre au 93e étage, où il travaille, et passe le reste de la journée joyeusement bourré. Après cette petite incartade, il se retrouve dans un cabinet d’avocat médiocre à l’éthique douteuse fondé par deux associés : Finley & Figg. Décrit comme la « boutique » par les deux partenaires, la vraie spécialité de Finley & Figg est le droit des dommages corporels – de vrais chasseurs d’ambulance !

Ayant désespérément envie de changer de vie, David, diplômé en droit d’Harvard, décide de rejoindre la « dernière division » et les persuade de l’embaucher. Il se retrouve rapidement mêlé aux affaires tordues de Wally Figg qui consiste à se faire beaucoup d’argent en rejoignant un recours collectif contre le médicament anti-cholestérol, le Krayoxx, du géant pharmaceutique Varrick Labs, médicament qui serait à l’origine de crise cardiaque et d’accidents vasculaires cérébraux.

Wally et Oscar sont loin d’être le prototype du bon petit avocat véreux. Ils sont plus sournois, ce qui les rend remarquablement amusants. Wally est un alcoolique portant une grosse arme de poing, couche avec une jolie cliente qui n’a pas les moyens de le payer et est l’auteur de réclames décoiffant du style : « Nous Défendons Vos Droits ! », « Tremblez, compagnies d’Assurances ! » etc. Oscar est un ancien flic qui avait « entrepris d’attaquer en justice quiconque passait par là » et mourrait d’envie de divorcer d’avec son épouvantable femme, mais s’y était résigné ne pouvant pas se le permettre.

Wally convainc Oscar et le perplexe David d’intenter un procès contre Varrick pour leur soutirer 100 millions de dollars en s’engouffrant dans la brèche du recours collectif. Mais Varrick croit à son Krayoxx et a une armée d’experts pour attester de sa qualité alors que le petit, minable et inexpérimenté cabinet de Chicago se trouve en procès devant un tribunal fédéral pour la première fois. Ils se retrouvent à défendre « une affaire qu’aucun avocat sain d’esprit ne se hasarderait à plaider [et] une cliente qui est dans les choux la moitié du temps ».

Dans « Les Partenaires », Grisham montre qu’il manie magistralement l’humour. Le roman est truffé d’humour noir et les personnages, notamment Finley et Figg, y sont sournois, hautement louches et merveilleusement charismatiques. C’est ce cocktail détonant qui fait la beauté de ce roman.

Que veulent réellement dire les prix littéraires ? Un comité qui se réunit pour décerner le prix du meilleur livre dans telles ou telles catégories me laisse souvent perplexe. La lecture étant quelque chose de très personnel, le choix du jury rencontre rarement les faveurs du public (sauf pour les prix prestigieux pour lesquels l’effet médiatique joue un rôle prépondérant). Je fais partie de cette frange de la population qui fait de la résistance aux prix littéraires. Mais, ne dit-on pas qu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis?

Que dire ensuite si ce prix est décerné pas par des professionnels de la littérature, mais par des gens dont le métier est décrit et encensé dans les livres en question ? Ce curieux mélange donne le « Prix du quai des Orfèvres » qui récompense le meilleur roman policier, en langue française, de l’année. L’heureux gagnant reçoit la somme de 777 euros, et est assuré d’une bonne vente – bénéficiant de plus de visibilité dans les librairies -. Cette année, c’est Maryse Rivière qui remporte ce Graal avec son roman « Tromper la mort ».

« Tromper la mort » est le récit d’un libraire sans histoire, qui, après un choc à la tête, se mue en véritable tueur en série. L’homme en question s’appelle Yann Morlaix et son histoire débute avec sa traque dans les catacombes de Paris. Le croyant mort, les policiers bouchent les entrées des catacombes sans se rendre compte que Morlaix a réussi à s’échapper. Ce dernier parvient ensuite à fuir le pays pour l’Irlande avec l’aide de son ami d’enfance Michel Le Bihan, un professeur indépendantiste œuvrant pour la libération de la Bretagne.

À ce sujet, on se demande parfois s’il s’agit d’un roman policier ou d’un roman en faveur de l’indépendance de l’Irlande. N’ayant aucune opinion là-dessus, j’aurais souhaité que l’auteure ait la main moins lourde sur ce sujet qui est quand même très récurrent dans son roman. Je n’ai rien contre les romans idéologiques, bien au contraire, mais j’apprécie quand c’est fait avec finesse… Et l’incrustation de mots anglais à tout bout de champ est pénible. Pour la défense de l’auteure, je crois qu’elle voulait initier le lecteur à ce pays beau pays qu’est l’Irlande. Les amoureux de ce pays et de sa culture y trouveront surement leur compte. Mais me concernant, cela ne m’a pas trop donné l’envie d’aller en pèlerinage dans ce pays des mythes et légendes.

Quoi qu’il en soit, Yann Morlaix se retrouve dans la bande à Charlie, un mafieux Irlandais, ancien membre de l’IRA (Armée Républicaine Irlandaise). Charlie le prend sous son aile comme homme de main dans sa « multinationale » du crime pour effectuer diverses commissions, notamment le transport de stupéfiants. La nature reprenant toujours le dessus, Morlaix ne tarde pas à faire de nouvelles victimes dans son nouveau pays d’adoption. Les flics du 36, quai des Orfèvres mis au parfum par leurs collègues irlandais s’en voudront de s’être laissé berner aussi facilement par Morlaix. Afin de rattraper leur boulette, ils enverront Damien Escoffier, flic du 36, pour assister la police irlandaise dans la traque du criminel aux poings d’acier. En effet, Morlaix à une prédilection pour la strangulation de ses victimes, de préférences blondes et ayant des prénoms tirés de la mythologie irlandaise. Et comme tout bon psychopathe, Morlaix se sent investi d’une mission : celle de délivrer ses victimes de leurs malheurs ! Le roman présente aussi une dimension religieuse puisqu’après chaque passage à l’acte, Morlaix envoie des extraits du « Livre de Kells » à son ex-femme internée, comme pour confesser son crime…

« Tromper la mort » est une enquête policière haletante entre Paris et Dublin, en passant par la Bretagne. Nos supers flics du 36 nous montrent encore une fois à quel point ils sont passionnés. Sous leur vigilance, vous pouvez dormir tranquille braves gens – d’un œil tout de même, car comme dirait Molière, ce sont souvent des médecins après la mort – !

La littérature française est très riche et tous les genres littéraires y sont plus ou moins représentés. Mais connaissez-vous beaucoup d’auteurs italiens ? Si je vous demandais de m’en citer un seul, en seriez-vous capable ? Pour ma part, je commencerais par Saint François d’Assise, Dante Alighieri, l’auteur de la Divine Comédie, ou encore Carlo Collodi, le père de Pinocchio. Oui, mais tous ces romanciers ont œuvré entre le début du XIIIe et la fin du XIXe siècle.

En revanche, il m’est impossible de citer un seul auteur italien contemporain. Non parce qu’il n’y en a pas, mais seulement parce qu’ils ne semblent pas avoir un écho international. Aussi, quand j’ai découvert « Nocturne indien » de Antonio Tabucchi, je me suis dit que c’était l’occasion idéale de faire découvrir cet auteur qui vaut vraiment le détour ! Cela me permet également de sortir du schéma franco-français qui semble faire la loi sur le site (attention, ce n’est pas une critique, hein ! Quoique …).

« Nocturne indien » raconte l’histoire d’un homme à la recherche de son ami. Ce dernier a été aperçu pour la dernière fois en Inde. L’Inde, le pays de tous les mystères, des « intouchables », du mysticisme, et des dieux en tout genre. D’ailleurs, en Inde, « être athée, c’est la pire des malédictions. » Les pro-religions de tout bord apprécieront… Bref.

Le héros d’Antonio Tabucchi part donc sur les traces de son ami, Xavier Janata Pinto, disparu en Inde depuis presque un an. Son aventure l’amènera à rencontrer des personnages hauts en couleur, à se frotter à l’Inde profonde et finira par trouver en quelque sorte ce qu’il recherchait…

Ce court roman de 119 pages est très bien écrit, et, contrairement aux apparences, il s’agit ici d’une quête de soi. Comme quoi « il faut [vraiment] voir les choses de loin [et se méfier] des morceaux choisis ».

L’auteur, Antonio Tabucchi, n’est, quant à lui, pas très connu, mais cela n’a pas empêché le succès de l’adaptation de son roman au cinéma en 1989, sous le même titre, par le réalisateur Alain Corneau avec comme acteurs principaux Jean-Hugues Anglade et Clémentine Célarié entre autres.

Le Mal est quelque chose d’intangible et de fascinant. Quant à savoir si c’est la société qui rend l’homme mauvais ou ce serait à cause de sa nature foncièrement mauvaise, chacun a plus ou moins son avis sur le sujet. Il y a cette psychiatre formidable, Magali Bodon-Bruzel, dont le quotidien consiste à aider les fous dangereux, des hommes que toute la société considère comme perdus, qu’elle raconte formidablement dans son livre « L’homme qui voulait cuire sa mère », et à l’extrême opposé il y a ce politique, dont je tairais le nom, qui voulait détecter les troubles du comportement chez l’enfant et le prendre ainsi en charge avant qu’il ne passe à l’acte comme s’il y avait un gène de la délinquance… Soyons sérieux, l’être humain est beaucoup plus complexe que cela ! Des personnes, ayant reçu tout l’amour du monde, peuvent s’adonner au Mal tandis que d’autres ayant vécu une enfance extrêmement difficile essaieront de s’en éloigner le plus possible. Maxime Chattam, dont la fascination pour la Mal n’est plus à démontrer, a décidé dans son dernier livre, « Que ta volonté soit faite », de traiter de ce concept et de raconter l’histoire d’un homme né dans la violence.

Dans « Que ta volonté soit faite », Maxime Chattam nous raconte l’histoire d’une petite ville, Carson Mills, et d’un enfant, Jon Petersen, né dans le sang. Quand les enfants « [normaux] pénètrent dans le monde par le biais des vivants, [Jon] lui ne rencontra que des morts pour l’accueillir ».

L’histoire de la naissance de Jon est compliquée, son père et sa mère sont issus de deux courants différents du christianisme, méthodiste et luthérien, qui n’ont pas l’habitude de se mélanger, chacun tenant à son église. Aussi, quand la mère de Jon, Willema, tombe enceinte le père de cette dernière voit rouge et interdit formellement aux deux amants de se revoir. À la naissance de Jon, tout dégénère. Son père, Lars Petersen, bien décidé à voir son enfant, voulut se débarrasser du vieux père de Willema, Saul. Ce dernier dans un dernier excès de rage tire dans le tas et tue toutes âmes qui vivent dans la maisonnette avant de passer lui-même l’arme à gauche. Jon échappe miraculeusement à la mort, mais c’est dans ce climat de haine et dans une marre de sang qu’il arrive dans le monde des vivants.

Cette histoire n’est pas sans rappeler la célèbre série télévisée « Dexter » diffusée par Showtime et adapter du roman de Jeff Lindsay « Ce cher Dexter ». Comme Jon, Dexter Morgan et son frère baignent dans le sang de leur mère, une nuit durant, dans un container. Ces événements traumatisants vont forger sa future personnalité. Dexter se mue alors en véritable tueur en série dont le credo est de se débarrasser (comprendre : assassiner, démembrer et se débarrasser des restes dans une baie) des autres tueurs en série « maléfiques » contrairement à son frère qui lui devient un tueur en série « classique »…

Dexter et Jon partagent le même Mal, mais il ne se manifeste pas de la même manière. Le premier tue pour rendre « justice » et le second s’adonne au Mal dans l’unique but de se sentir tout puissant et briser la vie des jeunes fleurs qu’il cueille et souille avec ses penchants malsains. D’ailleurs, Jon est un grand amateur de coquelicot, une fleur qui se fane dès l’instant où on la cueille. Mais nous allons un peu trop vite.

Avant d’en arriver là, il faut dire que Jon a eu une enfance particulière à cause de la tragédie qui entoure sa naissance. Il est rejeté par les enfants de son âge, qui ne manquent pas une occasion pour lui balancer des propos cruels à la figure, et les adultes le prennent pour un demeuré. « Le monde ne l’aimait pas, il en était parfaitement conscient » et tout cela laissait Jon de marbre, pourvu qu’il y ait des fourmilières à détruire. En effet, le défouloir favori de Jon Petersen c’est la destruction de fourmilières jusqu’au jour où des gamins, venus l’embêter dans son havre de paix, lui suggèrent qu’il y a des jeux bien plus amusants.

Non contents de le malmener de manière bien cruelle, ses assaillants lui suggèrent de regarder la plus jeune de ses tantes, Hanna, d’une autre manière. Elle aurait « la chatte plus chaude que l’enfer ». Et Jon aime l’enfer. À partir de ce jour, ce garçon qui se bornait à torturer quelques malheureuses fourmis va changer du tout au tout. Jon se met à détester encore plus les faibles et la faiblesse. D’abord, il va se venger de façon terrible sur le chef de ses assaillants, troquer ses fourmis contre les chiens et chats de ses voisins qu’il torture et met à mort, et pour couronner le tout, obnubiler par la chatte de sa tante plus chaude que l’enfer, il ne manquera pas de la violer de la façon la plus ignoble !

Cet événement marquera un tournant dans la vie de l’adolescent, la quête pour retrouver les sensations ressenties cette nuit-là, alors qu’il violait sa tante, le hantera tout le restant de sa vie. Sa capacité de nuisance et le Mal qui l’habite ne cesseront de grandir depuis. Et comme tous ceux qui s’adonnent au Mal, il ne l’emportera pas au paradis…

Au-delà de la fiction, Maxime Chattam touche du doigt ce qu’est réellement le Mal. On ne peut qu’être d’accord avec lui quand il compare l’être humain à une série d’interrupteurs qui s’activent et se désactivent au gré des événements qu’il traverse. D’ailleurs, le fils que Jon aura plus tard, Riley, suivra un chemin diamétralement opposé à celui choisi par son père. Comme quoi une mauvaise terre n’engendre pas forcément une mauvaise récolte et on est tous des acteurs actifs de nos destins.

La fin du livre est emmaillée d’un discours mystico-spirituel qui fait un peu de tort au livre à mon avis, mais donne tout son sens au titre « Que ta volonté soit faite »… Quoi qu’il en soit, ce thriller fort intéressant signé Maxime Chattam aurait gagné plus de puissance si l’auteur avait décidé d’embarquer le lecteur vers une fin dans le même esprit que le début du livre, c’est-à-dire une histoire savoureuse, parfois effroyable, bien ficelée et magnifiquement racontée !

De nos jours, quand on pense à la Russie, on pense surtout aux goulags, aux opposants politiques, et autres journalistes, assassinés en pleine rue et surtout au Kremlin, ancienne résidence des tsars, aujourd’hui occupé par un ancien agent du KGB qui dirige la Russie, apparemment, d’une main de fer. Alors propagande occidentale ou réalité ? Chacun se fera son idée. Mais on pense moins aux œufs de Fabergé, créé par le génial joaillier Pierre-Karl Fabergé, et encore moins au monument de la littérature russe qu’est Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski.

Les romans de Dostoïevski sont empreints d’une ambiance angoissante. Le libre arbitre ainsi que la question du divin y sont souvent évoqués. Son roman « Crime et Châtiment » paru en 1866 n’échappe pas à la règle.

Dans « Crime et Châtiment », Dostoïevski nous fait découvrir la Russie de l’époque tsarine, la misère extrême du peuple et une question existentielle : la fin justifie-t-elle les moyens ? Ainsi, l’auteur nous amène dans les coulisses de la vie de Raskolnikov, ancien étudiant pétersbourgeois, endetté jusqu’au cou. Un jour, en manque d’argent, Raskolnikov se rend chez une vieille prêteuse à gage, Alona Ivanovna, pour mettre en gage les derniers objets qu’il possède. C’est alors que tout se déclenche. Pourquoi cette vieille possède-t-elle autant d’argent alors que d’autres, plus jeunes et pleins de vie, meurent de faim ? Assassiner cette seule personne pour permettre à des milliers de personnes de vivre décemment grâce à ses biens est-ce vraiment un crime ? Ne serait-ce pas plutôt un bienfait pour toute l’humanité ? De plus, cette vieille, particulièrement méchante et cupide, prévoit de léguer toute sa fortune au monastère du coin, laissant pour seul héritage à sa sœur, Lisaveta, les meubles… Alors, se débarrasser d’un être aussi méchant, est-ce vraiment un crime ? « Est-ce que des milliers d’actes bons et utiles n’effaceront pas ce tout petit meurtre ? » Les choses ne sont, bien évidemment, pas aussi simples.

Quoi qu’il en soit, la graine du crime – crapuleux – et du meurtre – odieux -, à l’encontre de la vieille Ivanovna, avait germé dans l’esprit de Raskolnikov. Aussi, un soir en apprenant par hasard que la sœur de cette dernière, Lisaveta, serait absente le lendemain au matin, il décide de mettre en œuvre l’attentat qu’il mûrissait depuis longtemps. N’étant pas un meurtrier « professionnel », les choses ne se déroulent pas tout à fait comme prévu et la sœur de la vieille perd aussi la vie dans le drame. Dès lors, Raskolnikov ne sera plus jamais le même. « Le terrible aveu dansait sur ses lèvres », il ressentait le besoin grandissant de soulager sa conscience alors qu’il n’était nullement soupçonné du meurtre. C’est là qu’entre en scène un inspecteur de police, une espèce de « lieutenant Colombo », qui ne va arrêter de le harceler dans le but de lui faire avouer son abominable crime.

Au travers de la vie de Raskolnikov, Dostoievski se fend aussi d’une critique de la société de façon générale et de la société russe en particulier. Il dénonce la misère, le manque de compassion envers son prochain et l’avènement du « pognon » roi. « La compassion est même interdite par la science et que l’on fait déjà ainsi en Angleterre, où il y a de l’économie politique. »

Cette œuvre est aussi emprunt d’un discours philosophique sur ce que représente le crime, « réaction contre un ordre social anormal », et ce qu’est la conscience. Certaines personnes affirment que l’infamie de l’homme se fait à tout. À lire l’auteur, je n’en suis plus aussi sur. Car, voyez-vous, il y a une chose qu’on appelle la conscience et on ne cause pas impunément du tort à son prochain sans que cette conscience nous pousse à faire notre mea-culpa. Pour jouir de son crime en toute impunité, il faudrait contester à son prochain sa condition humaine. D’ailleurs, Raskolnikov compare, pour justifier son acte, la victime à un pou. Cela rappelle furieusement les théories fumeuses sur les « êtres inférieurs » lors des grandes conquêtes coloniales et l’extermination des Indiens d’Amérique qui n’étaient, aux yeux de leur bourreau, que des « sauvages », des bêtes en somme. Sans conscience, l’être humain n’est pas mieux qu’une meute de loups dont les membres sont capables de s’entre-dévorer entre eux ! Et il se trouve que Raskolnikov n’est pas dépourvu de conscience puisqu’il comprendra plus tard qu’en mettant à mort la vieille Ivanovna ce matin-là, c’est aussi lui-même qu’il mettait à mort…

Le chardonneret est un oiseau passereau chanteur au plumage coloré, qui se nourrit de graines de chardon. C’est aussi le titre du nouveau roman fantastique de Donna Tartt comme un clin d’œil à la charmante peinture, datant de 1654, de l’artiste néerlandais Carel Fabritius. Bien qu’étant de petite taille, l’œuvre de Fabritius est considérée comme étant l’un des joyeux de la peinture hollandaise. Il n’en fallait pas plus pour que Tartt fasse de l’oiseau de Fabritius la pièce maîtresse de son fabuleux et dickensien roman, un roman qui démontre tout le talent de conteur de l’auteure, le tout orchestré de façon remarquable piégeant le lecteur dans un univers immersif qui invite à se délecter de chacune des pages jusqu’au bout de la nuit.

« Le Chardonneret » est à la fois un thriller impliquant le vol et la disparition de la peinture de Fabritius, mais aussi un portrait panoramique de New York, et d’une certaine manière de l’Amérique post 11 septembre. Les intrigues du roman ont la saveur des romans d’antan comme « Les grandes Espérances » de Dickens, où il est question de l’histoire d’un orphelin, de son éducation morale et sentimentale et de son mystérieux bienfaiteur. Ce nouveau roman démontre une fois de plus l’incroyable de talent de Tartt dans l’écriture de roman à suspense et sa façon unique de faire vivre ses personnages comme elle le faisait déjà magistralement dans son roman « Le maître des illusions ».

Cette œuvre nous montre combien Tartt arrive à émouvoir ses lecteurs, comment elle peut traiter de questions philosophiques graves et les incorporés dans des questions plus générales – comme distingués une véritable antiquité de contrefaçons -.

Le côté théâtral et presque volontairement gothique dans « Le Maître des illusions » laisse ici la place à une prise de conscience profonde sur ce qu’est la mortalité et les pertes qui définissent la condition humaine ; sa maîtrise et l’approche cérébrale de ses personnages dans ce roman font place à une vive évaluation des complexités de l’esprit et du cœur.

Le narrateur et héros de « Le Chardonneret » est Theo Decker, un gamin intelligent de 13 ans, vivant seul à New York avec sa mère dans un petit appartement à Manhattan, son père, alcoolique invétéré, les ayant abandonnés un jour, subitement, sans laisser de traces. Aussi, Théo a développé une peur profonde de la solitude, craignant que sa mère aussi l’abandonne. Les mathématiques que Theo apprenait à l’école lui servaient donc surtout à compter les heures et les minutes depuis le départ de sa mère de la maison et à faire des suppositions sur le lieu où elle pourrait se trouver et quand elle rentrerait.

Puis un jour, c’est le drame ! Theo et sa mère sont au Metropolitan Museum of Art pour voir une exposition de son tableau préféré – « Le Chardonneret » – lorsque des terroristes font sauter une bombe. La mère de Theo est tuée et la vie du gamin ne sera plus jamais la même.

Dans la confusion générale, Théo fait une étrange rencontre avec un vieil homme blessé et en plein délire. L’homme, qui s’avère être l’oncle d’une belle jeune fille nommée Pippa que Theo avait entrevu au musée avant l’explosion, supplie Theo de sauver « Le Chardonneret » du déluge de feu et lui remet une bague puis lui chuchote des mots énigmatiques : « Hobart et Blackwell. Appuie sur la sonnette verte. » Au sortir du musée, avec les mystérieux objets en sa possession, Theo entre dans un nouveau chapitre de sa vie.

Bientôt, Theo vit à Park Avenue avec les Barbour, riche famille de son ami d’école Andy, tout en travaillant comme apprenti auprès James Hobart, ancien partenaire d’affaires du mourant dans le musée et expert en restauration d’antiquités vivant au-dessus de sa vieille boutique de curiosité à Greenwich Village. Bien que Theo avait l’intention de rendre l’œuvre qu’il avait subtilisée au musée, avec le temps passant, il lui était de plus en plus difficile de se séparer de cette peinture ayant développé un attachement émotionnel profond à l’œuvre, qu’il considère désormais comme un talisman de sa mère bien-aimée.

Quoique cet enchaînement d’événements semble hautement improbable, Tartt est adepte des codes du roman Dickensien – y compris les coïncidences surprenantes qui se muent en soudaine bonne fortune – qu’elle emprunte pour donner à l’histoire de Theo une dimension dure, ainsi que le caractère profondément aléatoire de la vie et le sens de l’humour parfois cruel du destin.

En même temps, les rebondissements puis le retour au calme dans la vie de Theo en disent long sur le rêve américain en lui-même : la promesse du renouveau et de secondes chances, la perpétuelle capacité à se réinventer. De la même manière, les pérégrinations de Theo sont une fenêtre ouverte sur l’évolution du paysage américain et ses bouleversements sociaux. Toujours est-il qu’à peine Theo commence à avoir un semblant de stabilité, apporté par les Barbour et les Hobart, que son vaurien de père, Larry, refait surface avec l’intention de faire valoir ses droits parentaux et étrangement désireux de débarrasser l’appartement de sa défunte femme. Parieurs invétérés, Larry et sa copine ne tardent pas à amener Theo loin de son quotidien pour le désert du Texas.

Tart capture « le vide sidéral » de ce lieu, plein de maisons vides saisies, aussi fidèlement qu’elle l’a fait avec New York. En effet, elle restitue merveilleusement l’anonymat et la ruche qu’est Midtown Manhattan sous la pluie que les rythmes d’un petit village et les néons de Vegas avec précision et acuité.

Il est clair que Theo souffre d’un stresse post-traumatique dû à l’attentat du musée couplé au chagrin de la perte de sa mère, sentiments qui s’accroit bien évidemment dans le désert solitaire du Nevada. Il trouvera son salut en faisant la connaissance d’un nouvel ami : Boris, un enfant de la rue aussi drôle que grossier qui a grandi dans plusieurs pays notamment l’Australie, la Russie et l’Ukraine et qui jouera le rôle de Artful Dodger dans le « Oliver Twist » de Theo. Le personnage de Boris montre la capacité de Tartt à insuffler de la vie et de la profondeur à ses personnages donnant l’impression au lecteur qu’ils ont une vie propre au-delà des pages.

Même les personnages secondaires sont finement dépeints dans « Le Chardonneret » : la mère de Théo, vive et squelettique, une fille du Kansas devenu mannequin puis étudiante en histoire de l’art, source intarissable de connaissances à propos de New York et maman poule de son unique enfant ; Pippa, l’espiègle, une jeune fille rousse que Theo considère également comme une survivante et une sorte d’âme sœur.

A Las Vegas, Theo et Boris vont passer beaucoup de temps à boire et à se défoncer, mais avec des motivations différentes. Comme Boris l’avouera plus tard : « J’essayais de m’amuser et d’être heureux […] Toi, tu voulais mourir. C’est différent. » En fait, le traumatisme de la mort de sa mère et l’angoisse que quelque chose de terrible soit arriver à son père ont amené Theo à développer une forte dépendance aux opiacés.

De retour à New York, Theo rejoint la boutique d’antiquité d’Hobart et tente de reprendre sa vie en main. Il ne fallut pas longtemps pour qu’il se retrouve dans une situation délicate de nouveau : un client menace de dévoiler qu’ils vont passer des faux pour des antiquités rares et coûteux, et les enquêtes sur la disparition du tableau « Le Chardonneret » battent leur plein. Il y a même des théories absconses comme quoi la peinture servirait de monnaie d’échange dans les transactions de trafic de drogues.

Tartt raconte ces événements avec une maîtrise complète et la verve narrative, donnant même un sentiment de fatalisme aux événements les plus improbables, le tout orchestrer d’une main de maître et des actions gagnant en intensité à mesure que l’histoire se développe, en témoigne la rencontre de Theo avec de dangereux criminels qui convoitent eux aussi le « Le Chardonneret ». Mais ce livre n’est pas seulement un récit narratif à suspense, il s’agit aussi d’une histoire d’amitié entre deux personnes, Theo et Boris, et ils auront à n’en point douter une place de choix dans l’esprit et le cœur du lecteur.

Il y a des tabous dans nos sociétés que tout un chacun se garde bien de transgresser dans la mesure du possible. Parmi ces tabous figurent le meurtre, les relations charnelles avec ascendant, ou plus communément nuire à son prochain. Pourtant, certaines personnes s’adonnent allègrement au parricide et sombrent sans retenue dans le complexe d’Œdipe. Il se peut même que quand un certain sang coule dans vos veines, il soit difficile de résister à la sensualité et aux conséquences qui vont avec. Un exemple de ce type de sang est celui des Karamazov, la famille au cœur du merveilleux roman dramatique de Dostoïevski : « Les Frères Karamazov ».

Les frères Karamazov sont une fratrie de trois enfants : Dmitri, né d’un premier mariage, est l’ainé de la famille et le farouche rival de son père, Fiodor ; ses deux autres frères, Ivan et Alexéi – Aliocha pour les intimes —, étant nés d’un second mariage. À l’image de leur père, tous les Karamazov sont « méchants et sentimentaux » à l’exception du benjamin Aliocha qui ne prendra que le côté sentimental et rentrera même dans les ordres.

Comme Amlet, le personnage de Shakespeare, ou Œdipe, celui de Sophocle, Dmitri, le personnage central du roman « Les frères Karamazov », rêve de tuer son père, Fiodor Pavlovitch Karamazov, et coucher non pas avec sa mère qui est décédée, mais avec la femme convoitée par son père. Père et fils sont irréconciliables à tel point que dans un excès de colère ce dernier se demande : « Pourquoi un tel homme existe-t-il ? » Dmitri veut voir son père six pieds sous terre, d’ailleurs il ne s’en cache nullement et l’affirme à qui veut l’entendre.

Mais, disons-le tout de suite, Fiodor est un père spécial, un vrai « bouffon » comme il aime à s’appeler lui-même. Quand il s’agit de s’humilier en public, s’adonner à la boisson et à la sensualité, Fiodor répond toujours présent. « Je veux vivre jusqu’à la fin dans le libertinage », affirmait-il. En revanche, il ne faut pas compter sur lui pour s’occuper de ses enfants, tâche ardue qu’il délègue volontiers à son valet, Grigori, et ainsi dégager de ses obligations parentales, il pouvait s’adonner librement à ses vices. « Il ne suffit pas d’engendrer pour être père, il faut encore mériter ce titre », diront certains.

Son comportement est certes condamnable, mais Fiodor n’est pas le seul « mauvais » géniteur de la planète, d’autres comme lui se dérobent à leurs obligations. Non, ce qui fait la particularité de Fiodor, c’est qu’en plus de duper ses enfants sur l’héritage de leurs mères, il s’est amouraché d’une femme « fatale », Grouchegnka, trois fois plus jeune que lui et à qui il est prêt à léguer toute sa fortune y compris l’héritage de ses enfants. Et c’est pour cette même Grouchegnka qu’il tente d’envoyer son fils Dmitri en prison, se débarrassant ainsi d’un rival devenu un peu trop encombrant. Fiodor est décidément un être bien infâme et il pousse cette infamie jusqu’à engrosser une simple d’esprit qui errait dans la rue, lors d’une soirée de beuverie, et qui lui donnera un fils du nom de Smerdiakov qui jouera également un rôle prépondérant dans ce drame familial.

Si Fiodor est loin d’être le papa de l’année, Dmitri, son fils, a lui aussi son lot de casseroles. Hédoniste comme son père, il a lui aussi la mauvaise idée de s’amouracher de Grouchegnka alors qu’il était parti la voir au départ pour la battre. Il faut dire que Grouchegnka « était belle, fort belle, une beauté russe, celle qui suscite tant de passions (…) c’était la beauté du diable, beauté éphémère, si fréquente chez la femme russe. » Tout un programme donc ! Depuis, atteint d’une jalousie maladive, Dmitri passe son temps à épier la maison de son père afin d’empêcher que ce dernier possède Grouchegnka à qui il avait promis trois mille roubles si elle daignait venir chez lui.

Pendant ce temps, la fiancée de Dmitri, Catherine Ivanovna, est l’objet d’une cour assidue de la part de son beau-frère et le tout avec la bénédiction de son fiancé… Drôle d’histoire ? Non, drôle de famille !

Quoi qu’il en soit, sur fond de jalousie entre fils et père, ce dernier sera assassiné un soir chez lui alors qu’il attendait anxieusement, comme tous les soirs, la venue de Grouchegnka. Dmitri est tout naturellement suspecté. Mais est-ce vraiment lui le parricide ?

Dans « Les Frères Karamazov », Dostoievski montre, plus que jamais, son côté moralisateur comme pour marteler une énième fois, au cas où cela n’aurait pas été assimilé, que le crime ne payait pas. Mais sous ses airs moralisateurs, Dostoïevski est lui-même un grand pécheur et un joueur invétéré, qualité qui lui vaudra beaucoup d’ennuis. « Tout homme recèle un démon en lui », écrivait-il. « Chez les riches, la solitude et le suicide spirituel ; chez les pauvres, l’envie et le meurtre ». Et comme souvent chez Dostoïevski, les questions existentielles — comme : « Pourquoi a-t-on des remords ? », quel serait le rapport de l’homme à la vertu si Dieu n’existait pas ? — sont abordées sous un angle philosophique. À travers « Les Frères Karamazov », l’auteur dresse également un tableau de l’état de la justice russe de son époque et de ce que devrait être la justice : un outil du vivre ensemble qui « n’a pas uniquement pour but de châtier, mais aussi de relever un être perdu ». Dans nos sociétés actuelles, nous oublions volontiers le côté rédemption pour nous concentrer sur la punition. Et enfin, parce que ce chef-d’œuvre de Dostoevski nous invite à voir l’être humain dans sa globalité et à prendre en compte sa dualité, il mériterait d’être lu et relu par le plus grand nombre.

Être laïque serait d’avoir des mœurs légères et être croyants impliquerait de s’habiller plus « décemment » et avoir un sens moral plus élevé. Imaginons qu’un jour la France, par la démographie ou les conflits absurdes entre politiques, devient musulmane. Cela impliquerait-il un islam rigoriste à l’image de l’Arabie Saoudite ou serait-ce un islam plus modéré comme on peut le voir dans d’autres pays musulmans ? La dernière fiction – futuriste ? – de Michel Houellebecq répond à cette question selon un point de vue tout à fait personnel.

Nous sommes en 2022, le renoncement de la gauche, les deux mandats présidentiels absolument désastreux de François Hollande et les éternelles querelles entre la droite et la gauche – « deux gangs rivaux » se partageant le pouvoir – et leur incapacité à répondre aux inquiétudes des Français ont permis l’émergence du Front National qui est désormais le premier parti de France avec 34 % des votes exprimés. De fait, le parti d’extrême droite arrive au second tour de l’élection présidentielle. En revanche, une incertitude subsiste concernant la seconde place : la gauche, le parti socialiste, est ballottée de près par le parti musulman de Mohammed Ben Abbes. Après une soirée électorale sous haute tension, un présentateur célèbre du journal de 20h de France 2 annonce la qualification du candidat de la Fraternité musulmane au second tour. C’est une double consternation pour les laïques et les républicains !

La droite républicaine, arrivée en quatrième position avec seulement 12,1% des voix, se refuse à donner des consignes de vote et la gauche, à qui le parti musulman a promis la moitié des ministères, prévoit déjà de faire alliance avec la Fraternité musulmane. Après quelques jours de tractation et une guerre civile entre identitaires de l’extrême droite, « les indigènes de l’Europe », et jeunes musulmans djihadistes, « les colonisateurs », originaires essentiellement de cité ; droite, gauche et centre décident de faire un « front républicain élargi » contre le parti d’extrême droite propulsant ainsi le parti musulman au pouvoir avec comme président Mohammed Ben Abbes. Dès lors, fini les mini-jupes, le travail des femmes et leur admission dans certaines filières universitaires, promotion de la polygamie et des élites musulmanes, d’où la conversion à l’islam d’un certain nombre intellectuel, élargissement de l’Europe aux pays maghrébins, « Eurabia », sous l’impulsion du nouveau président de la République, exile des juifs en Israël… Voilà en substance la fiction que nous propose Michel Houellebecq sur la « montée en puissance » de l’islam en France. Alors alarmiste ou visionnaire ?

Cette fiction est racontée du point de vue d’un professeur de lettre, spécialiste de Joris-Karl Huysmans, qui voit son paysage changé à mesure que la société française s’islamise. Alors qu’avant, les femmes voilées rasaient les murs, les voilà maintenant se promener fièrement dans les rues et les couloirs des universités. Le héros du roman ne tarit pas d’éloges à l’égard des Asiatiques qui ont toujours refusé l’installation des Noirs et des Arabes dans leur quartier leur évitant ainsi d’être touchés par les transformations qui s’opéraient dans le pays. C’est le raccourci classique: Noir ou Arabe égal musulman, mais aussi délinquant égal membre de ces communautés. Mais il ne s’arrête pas en si bon chemin. On retrouve pêle-mêle: la dénonciation de l’antisémitisme d’une partie de gauche et le projet secret de la droite et de la gauche pour la dissolution de la France au sein d’un « ensemble fédéral européen », le plaidoyer pour le patriarcat, valeur qui a permis la pérennisation de la civilisation européenne jusqu’à présent, retour au mariage de raison par opposition au mariage d’amour… En fait, dans « Soumission », tout le monde en prend pour son grade. Ce livre, présenté comme islamophobe, égratigne plus les médias dont « l’absence de curiosité (est) vraiment une bénédiction pour les intellectuels » et la classe politique, des « crétins » sans vision, que l’islam en réalité. Il pointe du doigt la résignation des Français face à la montée en puissance du religieux et des conservatismes les plus archaïques, en plus du désamour pour la politique. Profitant de cette situation, les extrémistes de droite s’arrogent la propriété de la citoyenneté française alors que la plupart connaissent finalement très peu du pays dont ils se réclament les enfants légitimes. Le renoncement de la gauche à critiquer certains comportements dès lors que cela implique des Français d’origines étrangères, car elle associerait cela à du racisme.

Pour les protagonistes du livre, la civilisation européenne est en train de se suicider. Le retour aux valeurs traditionalistes, à savoir la soumission de la femme à l’homme et la soumission de ce dernier à Dieu, pourrait permettre de rectifier le tir. Car, le « sommet du bonheur humain réside dans la soumission » et de citer l’« Histoire d’O », une fiction de Pauline Réage racontant le récit d’une femme libre et indépendante qui décide volontairement de devenir l’esclave de son amant, pour appuyer leur dire. Aussi, « les femmes musulmanes (seraient) dévouées et soumises ». Les femmes asiatiques sont également dévouées et soumises. Il s’agit ici plus d’une tradition que de la religion en elle-même. La femme européenne aussi était soumise, catholicisme oblige, avant les combats pour leur droit. Combat d’ailleurs complètement dénaturé par des féministes « chiennes de garde » qui font plus de mal que de bien au féminisme.

On peut tout de même reconnaître à Houellebecq d’être un très bon écrivain, d’avoir de l’imagination, beaucoup d’imagination, et même une certaine connaissance de l’islam. Mais rien n’est plus différent d’un musulman qu’un autre musulman. On entend souvent des théories sur le « grand remplacement », la mort de la civilisation européenne pour une autre civilisation musulmane celle-là. Mais qu’est-ce qu’une civilisation et par extension un citoyen ? Un Noir ou un Arabe, d’ailleurs le mot berbère serait plus approprié pour désigner les personnes d’origine Maghrébines, né en France, ayant grandi en France, et ayant épousé la culture française, ne pourra-t-il jamais, quoi qu’il fasse, faire partie de la civilisation française, et par extension européenne ? Des citoyens qui aiment profondément leur pays, peu importe leur couleur de peau, devront-ils toujours être considérés comme des citoyens de seconde zone et être soupçonnés de trahison en faveur d’autres pays notamment les pétromonarchies du Golfe ?

Contrairement aux journalistes qui affirment que le livre de Houellebecq est raciste et attise la haine, moi au contraire, je pense que ce livre invite à réfléchir. Cela ne veut pas dire que j’adhère aux idées de Houellebecq, mais si nous nous refusons d’aborder des problèmes épineux, car ils peuvent avoir une connotation « raciale » nous ne sommes finalement pas mieux que les gens qui prêchent l’obscurantisme et vont jusqu’à liquider des journalistes parce qu’ils ne se soumettent pas à la volonté d’une quelconque religion.

Le héros du roman, « Français de souche », au fil des pages montre et admet sa méconnaissance de l’autre, celui qu’il voit comme un « étranger ». On tombe dans les raccourcis courants de l’extrême droite, ou une couleur correspond à une religion. Mais au risque de me répéter sait-on qu’il y a des Noirs chrétiens, des Arabes juifs, des Israéliens athées ? Le renoncement à la laïcité est le péril qui guette notre pays et non un hypothétique péril musulman. C’est la soumission de la république, du fait de l’antiracisme le plus aveugle, qui conduira à la guerre civile et autre situation alarmiste décrite dans ce livre. Soyons tous vigilants et tâchons de faire en sortes que la religion reste ce qu’elle aurait toujours dû être : des convictions personnelles. Nul ne doit imposer ses vues, quelle que soit sa religion, aux autres, car la religion est une affaire personnelle. Et les religions, qui sont politiques par nature, doivent faire leur dépoussiérage pour qu’elle soit en accord avec la république. Car, oui, c’est bien aux religions de se soumettre à la république et non le contraire. Enfin, l’auteur, ou plutôt son personnage, admet son côté un peu réac puisqu’il écrit à la fin du livre : « le passé est toujours beau, et le futur aussi d’ailleurs, il n’y a que le présent qui fasse mal ». Eh bien, j’ai envie de dire croyons en l’avenir et si cette œuvre de Houellebecq contribue à éveiller la vigilance des citoyens pour la sauvegarde de la laïcité, c’est tant mieux !

Harlan Coben est passé maître dans l’art de commencer ses romans par des énigmes et en tire habilement profit tout le long. Au fil de l’histoire, les énigmes s’emboitent pour former un tout, mais le défi du lecteur c’est de deviner comment exactement.

Dans « Tu me manques », Coben nous présente Kat Donovan, une femme flic, représentant la troisième génération d’une famille de policier de New York, qui à l’air « mignonne et pétillante », mais « fracassée », tel que la décrit sa meilleure amie Stacy. Le grand-père de Kat s’est suicidé, et son père avait un petit faible pour la boisson. Aussi, il pouvait disparaître des jours entiers sans prévenir. L’histoire du livre se déroule vingt ans après l’assassinat du père de Kat, et il est clair que son histoire familiale continue de l’affecter profondément.
Dès le début de « Tu me manques », plusieurs événements se succèdent rapidement : Stacy informe Kat qu’elle l’a inscrite sur un site de rencontre en ligne appelé YouAreJustMyType.com. En surfant sur le site à contrecœur, Kat tombe sur quelqu’un qu’elle connaît, son ex-fiancé, qui est sorti de sa vie dix-huit ans plus tôt. Cette escapade numérique se conclut donc par des chagrins d’amour et des souvenirs de l’amour perdu – car, il n’est pas tout à fait clair à ce stade pourquoi cet homme l’avait abandonnée. Pendant ce temps, un homme malheureux, Gerard Remington, a pris un coup sur la tête et est emprisonné sous terre. Autre moment, autre endroit, Monte Leburne, l’homme qui a avoué avoir assassiné le père de Kat sur les ordres d’un parrain de la mafia, se meurt d’un cancer et, n’ayant plus rien à perdre, fini par admettre qu’il n’était pas le véritable assassin du père de Kat.

Puis l’intrigue Remington permet à l’auteur d’introduire les personnages de Titus, Dmitry et Reynaldo, des voyous notoires, et le roman tentaculaire de Coben commence vraiment à décoller. L’intrigue atteint son paroxysme quand un mystérieux adolescent, Brandon Phelps, essaie de rentrer désespérément en contact avec Kat : il est convaincu que sa mère a disparu et que seule Kat peut l’aider à la retrouver.

Comme toujours, la narration de Coben est habile et les mots bien choisis – grâce notamment à la traductrice du roman Roxane AZIMI. En fait, ce roman est assimilable à un combustible lent mais régulier qui s’embrasse complètement dans la seconde moitié. On reconnaît la patte de l’auteur au fur et à mesure du développement de l’histoire et à mesure que les personnages deviennent de plus en plus attachants. Kat, qui s’attend à toutes sortes de découvertes et à toutes les éventualités, est bien au fait de la complexité des choses, cependant, elle se garde de tomber dans les travers classiques des flics :

« Les flics se targuent de savoir décrypter les gens, façon détecteur de mensonges ambulant. Kat, pour sa part, n’y croyait pas une seconde. Pire, elle pensait que ce genre d’attitude pouvait avoir des conséquences désastreuses. »

Coben est un écrivain formidable, mais dans ce roman en particulier, les passages descriptifs sont souvent plus réussis et fluides que les dialogues. La scène du bar au début du roman, où Kat et Stacy se font draguer est révélatrice. L’auteur nous sert les baratins classiques – certains plus drôles que d’autres — que les hommes, surtout les nullos, utilisent sur les femmes. Dans d’autres scénarios, le dialogue semble s’éterniser plus que de raison, malgré le fait qu’ils sont cruciaux pour exposer les points essentiels et les révélations de l’intrigue. Et, tandis que l’histoire de Kat est franchement passionnante, d’autres personnages manquent clairement de présence. Ceci est d’autant plus frappant pour moi qui suis une lectrice fidèle de Coben. Son style percutant, ses dialogues vifs et chauds, ainsi que la présence vibrante de ses personnages, même secondaires, nous manquent un peu…
Cela dit, « Tu me manques » est un roman truffé de rebondissements, y compris une scène de vengeance effarante, horrible et complètement méritée qui ajoute plus de piquant au roman.

Pour le touriste moyen, ou même les plus grands italophiles, l’Italie que décrit Roberto Saviano dans « Gomorra » est complètement méconnaissable. Il n’y est plus question d’art de la Renaissance, de repas paisibles ou de pizzerias animées et encore moins de magnifiques paysages aguichants. Au lieu de cela, on découvre un pays étranger rempli d’enfants-soldats shootés à la coke, des gangs de femmes armées jusqu’aux dents, des immigrés chinois illégaux, des ateliers clandestins, des trafics de drogues, d’ordures et de ciment.

Bienvenue en Campanie, la région ayant pour capitale Naples où bat le cœur de la Camorra, la mafia napolitaine. Campanie a l’un des taux d’homicides les plus élevés d’Europe, l’une des villes où le nombre de dealers par habitant est le plus élevé au monde, une ville touchée par une flambée du taux de chômage et de dépendance à la cocaïne, et un taux de cancer très élevé lié aux déchets toxiques déversés dans la région. Depuis 1979, 3600 personnes y ont trouvé la mort des mains de la Camorra – beaucoup plus que la Mafia sicilienne, l’Armée républicaine irlandaise ou le groupe basque ETA. Le pape en personne est allé à Naples pour dénoncer la violence « déplorable » dans la région, résultant des guerres de drogues perpétuelles entre clans rivaux. Les infortunés de ces guerres n’ont pas vraiment une mort paisible. Dans « Gomorra », les victimes sont décapitées à la scie circulaire, étranglées lentement, noyées dans la boue, jetées dans des puits avec des grenades offensives, abattues à bout portant. Un jeune prêtre, qui a osé briser la loi du silence, est assassiné puis accusé, après sa mort, d’être un consommateur assidu de prostituées. Même après la mort, « vous êtes coupable jusqu’à preuve du contraire », écrit Saviano.

Véritable travail d’investigation, « Gomorra » est devenu une sensation littéraire à sa sortie en Italie en 2006, où plus de 600 000 exemplaires du livre ont été écoulés. Il est devenu un sujet de débat national, mais il a aussi valu à son auteur, alors âgé de 28 ans, des honneurs déplaisants : menaces de mort et escorte policière constante. Il vit depuis dans la clandestinité. Les enjeux sont considérables. Dans « Gomorra », Saviano fait l’inventaire de la participation de la Camorra dans l’industrie textile et son emprise sur le port de Naples, où 1,6 million de tonnes de marchandises venant de Chine sont déchargées par an – un autre million disparaît dans la nature sans laisser de trace, échappant ainsi au fisc. En dévoilant le contrôle de la Camorra sur les déchets ménagers et industriels, ainsi que le trafic de drogue, la fraude dans le bâtiment et les travaux publics, Saviano montre l’influence de l’organisation mafieuse sur le droit de vie ou de mort de tout un chacun dans la région (le prix d’une AK-47 étant très bas en Campanie), ainsi que son influence économique (dans les années 1990, les ventes de véhicules Mercedes y étaient parmi les plus élevées en Europe). En se basant sur les transcriptions des procès-verbaux des jugements rendus et sa propre investigation, il explique au lecteur les batailles fratricides entre factions rivales du clan Di Lauro pour le contrôle du commerce de la drogue dans la région.

En partie analyse économique et histoire sociale, en partie cri du cœur, ce témoignage bouleversant est le livre le plus important venant d’Italie depuis des années. Comme le Londres de Joseph Conrad, le Naples de Saviano est aussi l’un des endroits les plus sombres de la planète. L’auteur détricote la respectabilité des bourgeois italiens jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien.

Fils d’un médecin et d’un professeur, Saviano a grandi à Naples, un endroit sans demi-mesure où le mal est mal absolu et le bien est d’une pureté immaculée. À 13 ans, il voit son premier cadavre sur le chemin de l’école. Son père lui a appris à se servir d’une arme quand il était à peine plus âgé. Armé d’un diplôme universitaire en philosophie, Saviano a travaillé pour un groupe de surveillance anti-mafia et a écrit des articles pour des revues italiennes prestigieuses. Il se dit influencé par le livre « Dispatches » de Michael Herr, et aborde sa ville natale comme un reporteur de guerre.

Loin des petites escroqueries locales ou de la contrebande de cigarettes des années 90, les camorristes d’aujourd’hui ont pris une dimension internationale. Ils négocient des déchets toxiques, cachent les armes dérobées dans les anciennes casernes militaires d’Europe de l’Est, font des affaires avec les cartels de la drogue sud-américaine et africaine, détournent les subventions agricoles de l’Union européenne et blanchissent le pactole par le biais de diamants et de commerces de façade comme des magasins de vêtements, des bars et des complexes touristiques à travers toute l’Europe. Comme toute entreprise qui se respecte, la Camorra en entrée dans l’ère du numérique. Les membres restent en contact par téléphone mobile et par SMS. Quand un chef de clan est arrêté, les gamins partout dans Secondigliano, un des bastions de la Camorra au nord de Naples, lui rendent hommage en mettant sa photo en fond d’écran de leur téléphone mobile. Les chefs quant à eux suivent en temps réel les meurtres qu’ils ont commandités à la télévision.

Dans le récit de Saviano, la Camorra d’aujourd’hui – ou « le système », comme l’appellent ses membres – n’a aucune autre idéologie que l’économie « le néolibéralisme le plus agressif ». Les femmes, en particulier les veuves, sont promues à des postes de haut rang. Certaines voyagent même en compagnie de leur propre cercle de garde du corps féminin, habillées en jaune comme Uma Thurman dans « Kill Bill ». Le clan distribue les responsabilités et les blâmes à travers un réseau complexe de petites mains. « Le système donne au moins l’illusion que l’engagement est récompensé, et qu’il est possible de faire carrière », écrit Saviano. En effet, le système s’avère rapide et flexible face à une administration italienne intraitable et bureaucratique. Une étude publiée en 2007 a montré que le crime organisé représenterait 7% du PIB de l’Italie soit 127 milliards d’euros par an – le plus gros segment de l’économie italienne.

Comment cela est-il possible dans une démocratie européenne ? Ceci est une excellente question pour les théoriciens de la politique. Le fait est que la Camorra et l’État se nourrissent mutuellement. L’emprise économique du système « n’est pas née de l’activité criminelle », écrit Saviano, « mais de l’équilibre entre le capital licite et illicite ». Étant donné que les clans sont « la principale force économique » de Campanie, ajoute-t-il, pour les élus locaux, « refuser de traiter avec eux serait comme si l’adjoint du maire de Turin refusait de rencontrer la direction de Fiat ». Bien que Saviano cite rarement des noms de politiciens, « Gomorra » est une mise en accusation directe et brutale de la classe dirigeante italienne : les entreprises et les fonctionnaires ferment les yeux, par cupidité, sur la paralysie du sud du pays par le crime organisé au mépris de l’intérêt général.

De l’avis de Saviano, si les entreprises italiennes du nord qui alimentent l’économie du pays ne s’étaient pas débarrassées de leurs déchets toxiques à moindres frais grâce à la Camorra, l’Italie aurait eu du mal à satisfaire les exigences économiques pour son entrée dans l’Union Européenne. Depuis 2002, environ 3 millions de tonnes de déchets toxiques ont été illégalement déversées en Campanie. Dans la scène finale du livre, Saviano traverse un désert toxique, se couvrant le visage avec un mouchoir pour se protéger des émanations toxiques. On se souvient alors que dans « l’Eneide », écrit par un autre Campanien, l’entrée du monde souterrain est située sur le lac Averne, à Cumes, juste à l’ouest de Naples. Toute une histoire !

« Gomorra » est un livre écrit par un auteur courageux. Après avoir fermé le livre, on n’arrive plus à voir l’Italie, ni même le marché mondial, de la même manière.

Savez-vous comment résoudre le problème de la pauvreté dans le monde ? Eh bien, faites des politiques en faveur l’éducation des filles. Ce n’est pas moi qui le dis, mais les sociologues de tout de bord. Une société qui les prend sous son aile dès le plus jeune âge et leur apporte une bonne éducation ne peut que constater les progrès de la communauté : la mortalité infantile diminue, le revenu par habitant augmente, la croissance économique augmente, le taux d’exposition aux MST, notamment le VIH, chute. Le travail des enfants devient moins fréquent aussi bien que le mariage des enfants. Les mères instruites ont tendance à éduquer leurs enfants et elles gèrent mieux les revenus du ménage. Alors une société qui œuvre à leur éducation, œuvre à la réussite de toute la communauté.

Que les pays émergents le veuillent ou non, les filles sont leurs plus grandes richesses. Comme disait l’économiste Lawrence Summers, « Éduquer les filles génère un meilleur retour sur investissement que n’importe quel autre investissement dans les pays en développement. »

Cela est incroyablement vrai dans l’histoire de Malala Yousafzai, une jeune fille Pachtoune de la vallée de Swat, née d’une mère illettrée, qui a grandi à l’école de son père, lisait « Une brève histoire du temps » de Stephen Hawking à l’âge de 11 ans et a un don oratoire indéniable.

Et nulle part ailleurs ce principe d’éducation des filles n’est plus rejeté que dans la vallée verdoyante de Swat, où les djihadistes extrémistes descendent des montagnes, terrorisent les villageois et radicalisent leurs garçons, et où, il n’y a pas encore longtemps, un taliban a bondi dans un bus en criant, « Qui est Malala ?» et lui a tiré une balle dans la tête à bout portant pour s’être exprimé à propos du droit que Dieu lui a donné de pouvoir aller à l’école.

Malala raconte cet épisode douloureux de sa vie dans sa biographie fascinante « Moi, Malala ». Coécrite avec Christina Lamb, une journaliste britannique aguerrie qui a une passion évidente pour le Pakistan et qui raconte l’histoire compliquée de Malala avec une extrême clarté. Ce livre doit être mis entre toutes les mains non seulement pour son drame, mais aussi pour le message sur le potentiel inexploité des filles.

L’histoire commence avec le père de Malala, Ziauddin Yousafzai, fils d’un imam, à qui on a inculqué dès l’enfance un profond amour de l’apprentissage, un sens indéfectible de la justice et un engagement inébranlable dans la défense de ces deux principes. Comme Mohammad Ali Jinnah, le fondateur du Pakistan, Ziauddin était convaincu que, outre l’épée et la plume, il y avait un pouvoir encore plus grand – celui des femmes – et quand son premier enfant s’est avéré être une fille curieuse et brillante, il l’éleva avec la même attention qu’il prodiguait à ses fils.

La plus grande ambition de Ziauddin, qu’il réalisa alors qu’il était jeune enseignant, était de créer une école où les enfants pourraient développer pleinement leur potentiel humain. Pachtoune, il venait d’une tribu qui avait émigré de Kaboul pour s’installer dans un havre de paix séparant le Pakistan de l’Afghanistan ; comme Yousafsai, il était le fier légataire d’un riche héritage qui remontait à la cour Timouride du 16e siècle. Mais Ziauddin était aussi un pauvre avec de grandes ambitions et pas un sou à son nom.

Malala est né en 1997, quand son père luttait pour fonder son école contre une marée d’ennuis : un fonctionnaire du gouvernement profondément corrompu à qui il a refusé des pots de vin ; un mufti qui vivait en face et qui s’opposait à l’éducation des filles, une pratique qu’il dénonce comme haram, ou contraire aux préceptes de l’islam ; et les vicissitudes d’un djihad féroce, qui se manifestaient de temps à autre par des raids de talibans qui peu à peu ont évolué de la rhétorique radicale aux assassinats purs et simples. Quand Malala avait 10 ans et était la meilleure élève de l’école étonnamment florissante de son père, les talibans radicaux avaient infiltré toute la vallée et tous les chemins jusqu’à la capitale du Pakistan, Islamabad, et décapitaient les policiers pakistanais, puis exhibaient leurs têtes au bord des routes.

« Moniba et moi avions vu un film de la saga Twilight », raconte Malala, et « nous avons eu l’impression que les talibans, à l’instar de ces derniers, s’introduisaient chez nous en pleine nuit. Ils apparurent en groupes, armés de coutelas et de kalachnikovs, d’abord dans le Swat supérieur, dans les régions de plateaux de Matta. [ .. ] C’étaient des bonshommes à l’allure étrange, avec de longs cheveux hirsutes et des barbes, portant des gilets de camouflage par-dessus leur shalwar kamiz, leurs pantalons bouffants, qu’ils retroussaient bien au-dessus de la cheville. Ils portaient des chaussures de sport ou des sandales en plastique de mauvaise qualité, et parfois des bas sur la tête avec des trous pour les yeux, et ils se mouchaient dans un pan de leur turban. »

C’est à cette époque que les bombardements de l’école ont commencé et Maulana Fazlullah, un jeune extrémiste qui était jadis l’ancien opérateur de la chaise poulie permettant de traverser la rivière, devient connu sous le nom de Radio Mollah, une pièce maitresse de la propagande talibane, instaurant un règne systématique de terreur dans toute la vallée de Swat. Fazlullah a annoncé la fermeture des écoles pour filles ; il a loué le meurtre d’une danseuse ; ses hommes ont tué un enseignant qui refusait de plier son pantalon au-dessus de la cheville à la façon talibane.

Mais avec toute la terreur qui régnait autour d’eux, Malala et sa famille n’étaient pas résolus à se soumettre. Ziauddin a continué à pester, contre l’hégémonie des talibans de son pays, dans les bureaux du gouverneur, à l’armée, à qui voulait l’entendre, se faisant un nom dans la vallée de Swat pour sa droiture et son courage. Et bien que Malala ait appris à aller à l’école avec ses livres cachés sous son châle, elle a continué à étudier et à se surpasser, jusqu’à faire des discours en public en faveur de l’éducation.

Lorsqu’en 2009 la famille a été forcée de quitter la zone frontalière de plus en plus violente dans « le plus grand exode de toute l’histoire pachtoune ». Ils mirent le cap vers Peshawar, où Malala fait une intervention à la radio, rencontre l’ambassadeur Richard Holbrooke, et continue à promouvoir l’éducation des filles. En passant par Abbottābād pendant leur fuite, la famille était loin de s’imaginer qu’Oussama Ben Laden lui-même y avait trouvé refuge. Finalement, de retour chez eux, ils découvrent que leur école bien-aimée – à leur plus grand désarroi – était devenue un point de résistance de l’armée pakistanaise contre les talibans.

Nous savons comment cette histoire se termine, avec une enfant de 15 ans prenant une balle pour toute une génération. Il est difficile d’imaginer une chronique de guerre plus émouvante à part peut-être le journal d’Anne Frank. Avec la différence majeure que nous avons perdue cette dernière, et par miracle, nous avons encore Malala. Profondément défigurée par le tir de son agresseur, Malala a été transportée à Peshawar, puis Rawalpindi et enfin Birmingham, en Angleterre, où les médecins ont reconstruit son crâne endommagé et reconstitué son visage démoli. Mais son sourire ne sera plus jamais tout à fait le même.

Inébranlable, Malala n’a jamais caché ce visage – pas quand les talibans ont insisté pour qu’elle le fasse, et pas quand, sortie vainqueur de sa bataille pour la survie, elle se tenait debout à la tribune de l’ONU pour livrer son message encore une fois et encore plus fort.

Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts, Malala s’est presque complètement remise – physiquement – de son attentat, et a même reçu le prix Nobel de la paix en octobre dernier.

Malala n’est plus seulement la fille de ses parents ou d’une nation, elle est la nôtre également, parce qu’elle représente désormais le fabuleux et universel potentiel des jeunes filles partout dans le monde.

La veille de son incarcération, après avoir plaidé coupable pour contrebande d’argent provenant de la vente de drogue, Piper Chapman, l’héroïne de la série populaire de Netflix « Orange Is the New Black », s’inquiète plus de l’entretien de ses cheveux blonds et de ses sourcils que de sa situation. Elle se dit qu’au moins elle pourra utiliser son incarcération pour prendre soin d’elle, lire tous les livres qui lui font envie, et peut-être même apprendre un métier manuel. Elle demande à son fiancé de maintenir son site internet, et quand elle pénètre dans le pénitencier, elle tient un sandwich à la burrata (fromage italien qui ressemble à de la mozzarella).

Bien sûr, l’histoire de Piper Kerman, dont les mémoires ont inspiré la série du même nom, était différente. Le sandwich qu’elle a apporté en prison était fait de foie gras.

« Orange Is The New Black » est la vision de la prison d’une jeune cadre dynamique, a déclaré Jenji Kohan, celle qui a adapté le livre de Kerman à la télévision. Née à Boston, dans une famille de médecins, d’avocats et d’enseignants, Piper Kerman était une diplômée de la Smith College à la dérive, qui n’avait même pas un passeport quand elle est tombée amoureuse d’une femme charismatique, un peu plus âgée qu’elle, qui lui promettait de l’excitation, dont le transport de l’argent de la drogue à l’étranger.

« C’était le grand départ de tout ce que l’on attendait de moi », a déclaré Kerman. « Mon chemin a croisé celui de cette personne, elle m’a fait une offre et je l’ai accepté, contre tout sens de l’instinct de conservation ».

Ce n’est que 5 ans plus tard, lorsque son flirt de courte durée avec le danger était terminé, que les agents des douanes américaines sont venus frappés à la porte de sa maison de Greenwich Village avec un mandat ; six autres années passèrent pendant lesquelles le gouvernement essayait, en vain, de faire tomber le baron de la drogue extradé de Grande-Bretagne, et Piper Kerman a été condamnée à quinze mois d’incarcération dans une prison pour femmes à Danbury dans le Connecticut.

Les scènes érotiques dans la série laissent peu de place à l’imagination et si vous avez vu « Weeds », la précédente série de Jenji Kohan, alors vous savez que les scènes explicites ne lui font pas peur, surtout lorsqu’il s’agit de sexualité. Mais ce qui est vraiment provocateur, c’est le ton de la série, le mélange de thèmes graves décrits avec un humour aiguisé, sur un sujet qui est quand même très sombre.

Le parallèle s’arrête là. Comme beaucoup de séries estampillées « inspiré d’une histoire vraie », les réalisateurs prennent généralement leur aise et adoucissent ou durcissent le caractère de l’histoire. Dans ce cas précis, Piper Chapman, le personnage principal de la série joué par Taylor Schilling, est plutôt angélique et fleur bleue comparée à la vraie Kerman qui « à part le sexe, ne pouvait penser à autre chose ».

Mais « Orange Is The New Black » dépeint aussi des personnages qui ne sont presque jamais représentés, tout du moins pas avec beaucoup d’empathie, à Hollywood. La population carcérale n’est pas uniquement composée d’incorrigibles fripons ; chacun à une histoire et un passé parfois douloureux, et beaucoup d’entre eux a dû faire des choix décisifs beaucoup trop jeunes, beaucoup trop tôt, à un âge où on est impulsif et où on ne se rend pas réellement compte des conséquences de ses actes.

La trame dramatique de la série tourne autour de l’histoire du personnage principal et de son ex, qui est incarcérée dans la même prison pour trafic de drogue. Dans la vraie vie, Kerman la considère comme une ennemie et l’a vu pour la dernière fois le jour où toutes les deux comparaissaient devant le tribunal. Après cela, elle n’a plus jamais entendu parler d’elle.

« Orange Is The New Black» traite aussi des conditions de vie des détenus : les rats dans les dortoirs, la moisissure dans les douches, la nourriture infecte. L’auteure raconte ces conditions avec sincérité même si elle est bien consciente que peu de gens se soucient de la qualité de vie dans les prisons. Chose que l’on peut aisément comprendre, la drogue détruit des vies et provoque des milliers de décès chaque année. Payer à la société sa dette pour avoir trempé dans ces genres d’histoire est plus que normal. (Ceci dit, ce qui me gêne, à titre personnel, c’est que les petits délinquants paient leurs dettes à la société pendant que les gros délinquants à col blanc s’en sortent avec une tape dans le dos…) Mais est-ce que cela doit se passer dans des conditions parfois abominables ? Les détenus ne restent-ils pas des êtres humains malgré tout ?

Si vous avez aimé la série, vous aimerez surement le livre. Il s’agit de l’histoire d’une franche camaraderie entre codétenues. Le partage de moments de joie, mais aussi de détresse. Une immersion totale dans l’univers carcéral et la délinquance féminine avec parfois des témoignages bouleversants sur comment une vie peut basculer du jour au lendemain à cause de mauvais choix.

P.-S. Pour ceux et celles qui se posent la question, « Orange Is The New Black » est une expression américaine qui signifie que la couleur orange est la couleur tendance du moment. « Être le nouveau noir » veut dire être la dernière tendance à la mode.

Après les attentats du 7 janvier, je crois qu’il était nécessaire de prendre du recul afin de traiter correctement les événements. Face à tant de barbarie, une seule question me revenait sans cesse, en boucle : pourquoi tant de haine ?

Les terroristes se réclamant eux-mêmes de groupes islamistes radicaux, je me suis alors demandé ce qu’était la religion ? Les trois grandes religions monothéistes cautionnent-elles ce type d’actes ? Si tel n’est pas le cas, comment des extrémistes justifient-ils leurs appartenances, sans vergogne, à telle ou telle religion pour justifier leurs méfaits ?

C’est alors que je me suis souvenu d’un essai de Michel Onfray, « Traité d’Athéologie », que j’avais lu il y a quelque temps déjà. Je laisserai tout un chacun être le juge du plaidoyer en faveur de l’athéisme, mais ce qui m’intéresse présentement dans ce livre, c’est la biographie très fournie sur les trois grandes religions monothéistes. En effet, Michel Onfray étant un universitaire, ses livres fourmillent souvent de références bibliographiques. Et, n’ayant ni le temps ni l’envie de m’immerger dans les trois grands Livres, puiser mes références dans « Traité d’Athéologie » me convenait très bien. J’espère à mon tour qu’en vous faisant une critique de ce livre, vous apprendrez vous aussi beaucoup de choses sur la religion, sur les religions.

La religion et la raison : Le réel n’est pas, en revanche la fiction si.

Michel Onfray débute son livre « Traité d’Athéologie » par expliquer ce qui selon lui a permis l’émergence de la religion. En effet, la naissance de la religion (mono ou polythéiste) serait due à « la peur, la crainte, l’incapacité à regarder la mort en face ». Aussi, plutôt que d’accepter un réel qui consiste à accepter le néant, le vide, après la mort, les hommes préfèrent croire à des « fables » comme le paradis et autres joyeusetés afin de rendre l’inéluctable plus facile à appréhender. On préfère alors se réfugier dans « la foi qui apaise – plutôt – que la raison qui soucie ».

L’avènement des religions monothéistes à amener, selon l’auteur, au refoulement du vivant pour produire la passion de la mort. Aussi, les grandes religions prêcheraient la haine du monde d’en bas (le réel) au profil du monde d’en haut (utopique et fantasmé). Pour arriver à un tel tour de force, les religions se sont munies de préceptes invitant à la dissociation de la raison et de la religion. Aussi, aucun croyant d’aucune religion n’accepte un débat sur le bien-fondé des enseignements dispensés dans son Livre « car, en déclarant ces deux mondes séparés, la raison renonce à ses pouvoirs, elle épargne la foi, la religion est sauvée ».

D’ailleurs, les religions, quelles qu’elles soient, ne souffrent qu’on leur résiste. Le courroux divin n’est jamais très loin pour mettre à mort la Raison, l’Intelligence et l’Esprit Critique, selon l’auteur. Il poursuit, en citant la Genèse, qui invite les fidèles à se contenter de croire et d’obéir, le Coran qui invite à la même chose, d’ailleurs le mot musulman signifie étymologiquement « soumis à Dieu et à Mahomet ».

Aussi, depuis des siècles, on aime mieux la soumission à la Loi, donc aux prétendus dépositaires de la parole divine, plutôt qu’à la Pensée, au Raisonnement et à la Connaissance. Le Coran et la Torah vont d’ailleurs plus loin en détaillant de façon millimétrique le quotidien de leurs fidèles. Les usages de la table, les comportements au lit, les récoltes des champs, la texture et les couleurs de la garde-robe, l’emploi du temps heure par heure… tout y passe. Yahvé aurait d’ailleurs explicitement demandé à Moïse de veiller au respect scrupuleux de ces règles – Lévitique (XXI, 16).

Cette haine de l’intelligence des religions monothéistes a conduit à une régression de l’humanité selon l’auteur. Et de rappeler les innombrables scientifiques condamnés, et parfois guillotinés, par le Clergé parce qu’ils véhiculaient des « pensées dangereuses » au gout de l’Église. Galilée représenterait l’emblématique « haine de l’Église pour la science et du conflit entre Foi et Raison », écrit Onfray.

Les trois livres s’accordent sur cette haine de la science : transformisme ? Évolutionnisme ? Inconnu au bataillon. Les sciences sont acceptées uniquement si elles servent le fait religieux.

Le dernier dieu disparaîtra avec le dernier des hommes, selon l’auteur, car c’est ancré dans l’imaginaire populaire que « si Dieu n’existe pas, alors tout est permis ».

L’origine des trois Livres

La date de parution des trois Livres est inconnue ainsi que les péripéties de leur établissement. Les tenants des religions maintiennent volontairement le flou et mettent en garde quiconque s’intéressant de trop près à cette question. Ce qui permettrait d’entretenir le mythe selon lequel ces Livres auraient des origines divines.

La Bible est un ouvrage composé par divers auteurs et relève d’une composition historique selon l’auteur. Je vous conseille d’ailleurs l’excellent livre d’Emmanuel Carrere – Le royaume (Edition P.O.L, 2014). Aucun évangéliste n’a connu personnellement Jésus. La haine judéo-chrétienne de soi, du monde et du corps serait l’œuvre de Paul de Tarse qui aurait détourné l’enseignement initial de Jésus. Le premier corpus de la Bible chrétienne voit le jour sous l’empereur Constantin sous la plume d’Eusèbe de Césarée à partir vingt-sept versions dans la première moitié du VIe siècle. Le corpus définitif est établi par le concile de Trente en 1546, à partir de la Vulgate, elle-même issue de la traduction d’un texte hébreu, par saint Jérôme, entre le IVe et Ve siècle.

Les juifs mettent autant de temps à établir leur corpus. Certains textes de la Torah dateraient du XIIe siècle avant J.-C. Vers l’an 100, les rabbins fixent le détail de la Bible hébraïque. Au début du IIIe siècle, ils calligraphient sur des rouleaux l’enseignement de la Torah (la Mishna). Vers 500, des rabbins émigrés de la Palestine achèvent le Talmud de Babylone, un commentaire de la Mishna. Mais ce n’est qu’en l’an 1000 que le texte de la Bible hébraïque est définitivement fixé.

C’est également à cette période que les musulmans établissent une version définitive du Coran à partir de plusieurs versions. Pour cela, il a fallu confronter des dialectes, unifier la syntaxe, séparer versets abrogeant et versets abrogés pour « éviter une incohérence trop criante ». Mahomet n’aurait pas écrit le Coran, le livre aurait vu le jour « en tant que tel seulement vingt-cinq ans après sa mort ». Comme les chrétiens avec la résurrection de Jésus et la Vierge Marie, les musulmans ont choisi, eux aussi, de mettre dans le Coran une sourate « imprudente » affirmant que le Coran provient directement d’Allah (IV, 82). Pour preuve, ils avancent l’inexistence de contradictions dans le livre divin qui aurait été dicté sur vingt années, à la Mecque et à Médine. Michel Onfray s’évertue d’ailleurs à déconstruire ce mythe avec des exemples bien concrets. Les Hadiths dateraient du IXe siècle soit deux siècles après la disparition du Prophète. Marwan, gouverneur de Médine à l’époque, récupère et fait détruire les versions existantes afin d’en garder une seule pour éviter toute confrontation historique.

Les paroles divines que les fidèles revendiquent en tant que telles auraient donc des « origines très humaines ». Les trois Livres monothéistes auraient le don de la contorsion. Ainsi, le même livre permettrait de justifier deux hommes évoluant aux antipodes de l’humanité : l’un tendant vers la sainteté et l’autre vers la barbarie.

En effet, les contradictions dans les Livres permettraient de dédouaner le barbare aussi bien que le saint. Pourtant, les adeptes des religions sont souvent prompts à remarquer la paille dans l’œil du voisin sans se soucier de la poutre dans le sien. « La tolérance n’est pas leur vertu première », écrit Onfray.

Ainsi, mollahs et ayatollahs tâchent de donner du sens et de la cohérence à des textes contradictoires en jonglant avec les sourates, les versets et les milliers de hadiths conduisant à des situations incongrues et des interprétations parfois farfelues.

Vous avez dit amour du prochain ?

Toutes les trois grandes religions monothéistes prêchent la paix, la non-violence, l’amour du prochain, la tolérance… Tout le contraire de guerre, violence, peine de mort, Croisades, Inquisition, colonialisme, jihad.

Étymologiquement, jésus signifie « Dieu sauve, a sauvé, sauvera ». La religion chrétienne est une religion très spirituelle au départ et fondamentalement non violente comme le laisse penser la parabole de l’autre joue tendue pour un coup donné à une joue (Matthieu, V, 39 ou Luc, VI, 29). Mais la colère christique s’abattant sur les marchands du Temple, chassés à coups de fouet (Jean II, 14), laisse songeuse. Le même Jésus qui refuse de rendre coup pour coup, chasse violemment des marchands accusés de faire du commerce devant la maison de son Père. À cause de cet acte, on justifie « les Croisades, l’Inquisition, les guerres de Religion, la Saint-Barthélemy, les bûchers, l’Index, mais aussi le colonialisme planétaire, les ethnocides nord-américains… », écrit Onfray. Ce n’est pas tout, ce même Jésus qui prône la non-violence, maudit les pharisiens et scribes hypocrites (Luc XI, 42-52), promet l’Enfer aux individus qui ne croient pas en lui (Luc X, 15), déclare que qui n’est pas avec lui est contre lui (Luc XI, 23) ou encore quand il dit être venu non pas pour la paix, mais pour le glaive (Mat. X, 34). Il en fallait peu à Constantin, le chef de guerre auto-proclamé treizième apôtre, pour mettre sur pied un Empire totalitaire qui édicte des lois violentes à l’endroit des non-chrétiens. Dès 380, les non-chrétiens sont condamnés à l’infamie, et pendant ce temps, les chrétiens pillent, ravagent et persécutent les païens…

« Au nom de Dieu : celui qui fait miséricorde, le Miséricordieux » (I, 1). Le Coran comporte cent vingt-quatre sourates qui, à l’exception de la neuvième, commencent toutes par cette phrase. La tradition islamique donnerait quatre-vingt-dix-neuf noms à Dieu, le centième étant révélé seulement dans la vie future. Parmi ces noms, certains interpellent : celui qui avilit – Al-Mouhill –, celui qui fait mourir – Al-Moumit –, le vengeur – Al Mountaqim –, celui qui peut nuire aux personnes qui l’offensent – Al-Darr. L’histoire aurait pu s’arrêter là – après tout, ce ne sont que des noms – sauf que Mahomet est décrit comme un brillant stratège et tacticien de guerre (VIII, 30) utilisant la ruse – qui est une vertu des cyniques – avec brio (III, 54). Il n’hésite pas à recourir à la violence et décide de la mort (II, 156), réserve des châtiments exemplaires aux incrédules (IV, 102), Maître de la vengeance (V, 95 et III, 4), anéantit les mécréants (III, 141), invite à tuer les incrédules (VIII, 39) et les polythéistes (IX, 5), mais leur offre aussi l’asile (dhimma) (IX, 6) – Sous réserve de payer un impôt (jizya) ; mais, miséricorde oblige, célèbre aussi le pardon (VIII, 199), l’oubli (V, 13) et la paix (XLVII, 29). Michel Onfray cite également une sourate qui sert souvent de refuge aux adeptes modérés de l’islam : « tuer un homme qui n’a pas commis de violence sur terre, c’est tuer tous les hommes, de même en sauver un seul, c’est les sauver tous (V, 32) ». Ceci ferait de l’islam une religion de paix. Il faudrait alors faire abstraction des sourates suivantes : interdiction de se marier avec un non-musulman (III, 28) ; interdiction de prendre pour amis des juifs ou des chrétiens (V, 51), mais permission pour les hommes d’épouser une femme pratiquant la religion des deux autres Livres (V, 5). Au travers de ces différents versets du Coran, on voit bien qu’on peut prôner soit un islam modéré tendant vers la paix et l’amour du prochain, soit un islam fondamentaliste visant à détruire tout ce qui n’est pas dans la communauté !

Fermons cette partie sur la bonté du cœur avec la Torah. On se souvient tous des dix commandements, remis à Moïse par Yahvé sur le mont Sinaï. Le cinquième commandement, le plus célèbre, disait en substance : « Tu ne tueras pas » (Deut. V, 17). Le même Yahvé, quelques versets plus loin, justifie l’extermination, par les juifs, de pas moins de sept peuples à majorité originaires de la région correspond à l’actuelle Palestine – Canaan -(Deut. VII, 1). Ensuite (Deut. VII, 6), il annonce que les juifs sont le peuple élu, choisi par Dieu, contre tous les autres, malgré tous les autres. Cela serait à l’origine de la légitimation de la colonisation par les Juifs selon l’auteur. Puis plus loin, il est question de l’extermination du peuple de Canaan, « tout doit passer au fil de l’épée (Jos. VI, 21) ». Cela serait « le premier génocide » depuis l’avènement du monothéisme d’après Onfray. L’auteur poursuit en dénonçant la nature résolument guerrière de certains passages de la Torah. Ainsi, la lecture correcte de « Tu ne tueras pas » serait plutôt, « toi, juif, tu ne tueras pas de juifs ». En revanche, massacrer les « non-juifs, les goys … ne relève plus des dix commandements ». Par cela, la Torah invente l’inégalité éthique, ontologique et métaphysique des races, selon l’auteur. Et bien sûr, illégalité du mariage avec un non-juif.

Les religions monothéistes partageraient une culture de mort, de haine, de mépris et d’intolérance. Aussi, « à cause de l’existence de Dieu tout est permis » au nom d’un Dieu miséricordieux.

De la haine des femmes

Les trois grandes religions partageraient un autre point commun : la haine des femmes et du féminin. Cette haine de la femme serait-elle « la conséquence logique de la haine de l’intelligence ? », se demande Onfray. En effet, l’histoire du jardin d’Eden, commune aux monothéismes, nous enseigne que le péché originel proviendrait de la volonté de savoir de Eve, malgré les mises en garde de Dieu, ce qui conduira l’humanité à l’exil forcé du jardin d’Eden. Depuis, pour elles, point de répit sur terre. Et comme au ciel, elles feront parties de ces éternelles vierges que les heureux élus auront tout loisir de déflorer encore et encore, point de salut pour elles même au royaume de Dieu. Il faut ajouter à cela « la haine de tout ce qu’elles représentent pour les hommes : le désir, le plaisir, la vie ».

À cause de ce péché originel, les trois Livres ne sont pas tendres envers nos semblables féminins. Droit d’ainesse oblige, ouvrons le bal avec le judaïsme. Dès la prière du matin, qui invite chaque homme juif à bénir Dieu, le fidèle est invité à remercier son Seigneur de « l’avoir fait juif, non-esclave et … pas femme (Men. 43b) ». Bah oui, la femme a été créée accessoirement, à partir de la côte d’Adam (Gen. II, 22). Interdiction pour les femmes d’étudier la Torah et bien sûr soumission à son mari.

On enchaîne avec le Coran. La femme a été créée secondairement (sourate III, 1), supériorité des mâles sur les femelles, car Dieu préfère les hommes aux femmes (IV, 34), interdiction de laisser ses cheveux à l’air libre, port du voile (XXIV, 30), posséder plusieurs épouses (IV, 3), invitation à se soumettre à tous les désirs sexuels du mari – qui laboure sa femme à volonté, comme sa terre (II, 223), légitimation des coups portés à sa femme en cas de suspicion (IV, 34).

En plus des « traditionnelles » soumissions, la misogynie catholique franchit une étape supplémentaire quand ils vont jusqu’à discuter au concile de Mâcon, en 585, d’un livre intitulé « Dissertation paradoxale où l’on essaie de prouver que les femmes ne sont pas des créatures humaines » d’un certain Alcidalus Valeus…

Les grands perdants de l’histoire : laïc, polythéiste, athée et « peuples primitifs »

Rendons à César ce qui lui revient de droit. Les juifs sont les premiers à s’adonner au monothéisme, mais ce sont aussi les premiers à inventer le concept de guerre sainte avec l’extermination des Cananéens (Ex. XXIII, 23). Il s’agissait ici d’une « guerre totale » n’épargnant ni femme, ni enfant, ni vieillard, ni animal et encore moins les hommes (Ex. XII, 12). Lors de cette guerre pour la conquête de l’actuelle Palestine, Yahvé se propose même d’arrêter le soleil afin que les Hébreux aient le temps d’exterminer leurs ennemis amorrites (Jos. X, 12-14).

Les trois religions monothéistes sont toutes également en faveur de l’esclavage. La traite des noirs, l’humiliation, l’exploitation, le servage, le commerce des hommes, des femmes et des enfants; les génocides, les ethnocides des conquistadores. Dans le domaine, les chrétiens vont exceller. Les conquêtes ethnocidaires des peuples dits primitifs sont un concept très chrétien sans compter les guerres coloniales pour évangéliser tous les continents. D’ailleurs, en dehors de leur coreligionnaire, l’Autre n’est jamais rien d’autre qu’une bête de somme qu’on peut arraisonné et traité comme un objet, écrit Onfray. « Le goy pour le juif, le polythéiste, l’animiste pour le chrétien, le juif, le chrétien pour le musulman, l’athée pour tous, bien sûr ». La malédiction de Noé (Genèse IX), ivre mort qui, dégrisé, apprend que son fils l’a surpris nu dans son sommeil, s’étend à tout un peuple – Canaan pour ne pas le citer. Il se trouve que les Cananéens ne sont autres que les descendants de Cham, le fils en question. Ce texte biblique a justifié pendant des siècles l’infériorité de certains peuples. Le médecin et anthropologue britannique, Charles Gabriel Seligman, avance alors une théorie nauséabonde expliquant la supériorité de la race caucasienne sur la race hamitique – regroupant les populations d’Afrique du Nord, la corne de l’Afrique, l’Arabie du Sud, l’ancienne Égypte -, mais aussi les Sémites, elle-même supérieure aux populations d’Afrique noire, permettant ainsi à des esclavagistes de s’en donner à cœur joie et créant de fait une race d’esclave ! Les chrétiens poussent le vice encore plus loin avec Augustin qui avance que l’esclave doit servir son maitre avec dévolution pour espérer entrer un jour au paradis ! Les musulmans ne sont pas en reste, ils ont pratiqué l’esclave et le Coran ne l’interdit pas. D’ailleurs, on doit à l’islam l’invention du commerce des esclaves, soutient l’auteur. En l’an mil, un trafic régulier existe entre le Kenya et la Chine, soit neuf siècles avant la traite transatlantique. On estime « à dix millions d’hommes déportés sur mille deux cents ans par les fidèles d’Allah le Miséricordieux, le Très Grand, le Très Humain », écrit l’auteur. On comprend mieux l’attitude de certains noirs qui ne se réclament d’aucune des 3 religions monothéistes et regardent avec incrédulité les extrémistes noirs chrétiens tout comme musulmans se faire la guerre pour défendre leur Dieu…

Impérialisme des 3 Livres

L’Église catholique, apostolique et romaine excelle dans la destruction de civilisations, selon Onfray. On se souvient de la conquête du Nouveau Monde, mais aussi des ethnocides qui suivirent. Tout est bon pour conquérir de nouvelles terres, quitte à tuer, brûler, piller… car il y a toujours des missionnaires qui passeront derrière pour purifier la terre, la Foi est donc sauve !

Les musulmans ne sont pas en reste. Avec l’accession de l’ayatollah Khomeyni au pouvoir, après la chute du shah d’Iran en 1978, le monde musulman a basculé. On utilise désormais le Coran et les hadiths du Prophète pour imposer la charia, gouverner les esprits, les corps et les âmes, selon Onfray. Fini le religieux pour soi, avènement de la religion pour autrui, poursuit-il. Éloge du jihad, justifié par près de « deux cent cinquante versets » (sur un total de six mille deux cent trente-cinq). Paix, amour et miséricorde, mais uniquement pour les membres de l’umma (la communauté musulmane). L’ayatollah Khomeyni présente lui même l’iman comme un guide spirituel, mais aussi politique. « Lui seul dispose du monopole de la lecture correcte du livre saint ». Dès lors, si on prend le cas de la France, il ne peut y avoir que des tensions. D’un côté, vous avez une institution imbibée de tradition judéo-chrétienne et de l’autre vous avez une religion qui est une institution en elle-même…

Le peuple juif, quant à lui, a souhaité n’établir sa domination que sur un territoire, son territoire, sans jamais viser autre chose.

Alors quoi ?

Alors est-on condamné ? Le refus du cynisme à l’Occidental nous condamne-t-il à choisir la barbarie des extrémistes ?

Que Dieu existe ou pas, là n’est pas la question, il est dommage que des fidèles des trois religions monothéistes se voient confisquer leur religion par de prétendus dépositaires de la parole divine qui choisissent sciemment les passages prônant la haine, la destruction et l’anéantissement. Ces invites, bien qu’existant dans les 3 Livres, sont finalement minoritaires par rapport aux passages invitant à l’amour du prochain, à l’altruisme, à la bonté. Est-il encore possible de rêver d’un monde où « l’Autre ne s’y penserait pas comme un ennemi, un adversaire, une différence à supprimer » ?

Sous couvert de religion, je soupçonne fortement certains groupes mafieux de couvrir leurs méfaits. Les textes religieux sont rarement interprétés de façon universaliste. La bonté est associée aux membres de sa communauté et la fureur, le courroux à tous les autres. Il serait temps qu’on arrête de faire payer au Peuple « les frais de la perfidie théocratique ». Les prétendus guides spirituels ont à disposition, pour leur plus grand bonheur, des miséreux qui n’ont plus beaucoup à perdre. Le nord du Nigeria avec Boko Haram, le nord du Mali, le sud de l’Algérie, les banlieues françaises… voilà des endroits où les difficultés s’accumulent et où les politiques ont échoué à intégrer parfaitement les individus à la société. Ces types d’endroits constituent, et ont toujours constitués, un terreau fertile pour les intégristes de tout bord. Les politiques doivent prendre leur responsabilité et s’occuper de ces populations. Cette haine viscérale de la France ne peut pas être uniquement à cause d’une divergence de religion. Il y a, je pense, un malaise plus profond dans la société française.

Pour finir, que ce soit à l’égard de cette critique ou des morceaux de versets que l’on vous présente, tacher de voir les choses de loin et méfiez-vous des morceaux choisis !

Nous avons bien évidemment une pensée pour les policiers, les civils et les dessinateurs de Charlie Hebdo tombés à cause de la bêtise humaine. Aux partisans de la théorie du complot, je vous demande un peu de décence à l’égard des familles des victimes. Si vous rejetez tout en bloc, admettez au moins que des gens sont morts parce qu’ils étaient au mauvais endroit au mauvais moment, parce qu’ils étaient dans l’exercice de leurs fonctions ou parce qu’ils s’amusaient à dessiner. Un peu de compassion, que diable !

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