Publié le : 08 juillet 20208 mins de lecture

Le Mal est quelque chose d’intangible et de fascinant. Quant à savoir si c’est la société qui rend l’homme mauvais ou ce serait à cause de sa nature foncièrement mauvaise, chacun a plus ou moins son avis sur le sujet. Il y a cette psychiatre formidable, Magali Bodon-Bruzel, dont le quotidien consiste à aider les fous dangereux, des hommes que toute la société considère comme perdus, qu’elle raconte formidablement dans son livre « L’homme qui voulait cuire sa mère », et à l’extrême opposé il y a ce politique, dont je tairais le nom, qui voulait détecter les troubles du comportement chez l’enfant et le prendre ainsi en charge avant qu’il ne passe à l’acte comme s’il y avait un gène de la délinquance… Soyons sérieux, l’être humain est beaucoup plus complexe que cela ! Des personnes, ayant reçu tout l’amour du monde, peuvent s’adonner au Mal tandis que d’autres ayant vécu une enfance extrêmement difficile essaieront de s’en éloigner le plus possible. Maxime Chattam, dont la fascination pour la Mal n’est plus à démontrer, a décidé dans son dernier livre, « Que ta volonté soit faite », de traiter de ce concept et de raconter l’histoire d’un homme né dans la violence.

Dans « Que ta volonté soit faite », Maxime Chattam nous raconte l’histoire d’une petite ville, Carson Mills, et d’un enfant, Jon Petersen, né dans le sang. Quand les enfants « [normaux] pénètrent dans le monde par le biais des vivants, [Jon] lui ne rencontra que des morts pour l’accueillir ».

L’histoire de la naissance de Jon est compliquée, son père et sa mère sont issus de deux courants différents du christianisme, méthodiste et luthérien, qui n’ont pas l’habitude de se mélanger, chacun tenant à son église. Aussi, quand la mère de Jon, Willema, tombe enceinte le père de cette dernière voit rouge et interdit formellement aux deux amants de se revoir. À la naissance de Jon, tout dégénère. Son père, Lars Petersen, bien décidé à voir son enfant, voulut se débarrasser du vieux père de Willema, Saul. Ce dernier dans un dernier excès de rage tire dans le tas et tue toutes âmes qui vivent dans la maisonnette avant de passer lui-même l’arme à gauche. Jon échappe miraculeusement à la mort, mais c’est dans ce climat de haine et dans une marre de sang qu’il arrive dans le monde des vivants.

Cette histoire n’est pas sans rappeler la célèbre série télévisée « Dexter » diffusée par Showtime et adapter du roman de Jeff Lindsay « Ce cher Dexter ». Comme Jon, Dexter Morgan et son frère baignent dans le sang de leur mère, une nuit durant, dans un container. Ces événements traumatisants vont forger sa future personnalité. Dexter se mue alors en véritable tueur en série dont le credo est de se débarrasser (comprendre : assassiner, démembrer et se débarrasser des restes dans une baie) des autres tueurs en série « maléfiques » contrairement à son frère qui lui devient un tueur en série « classique »…

Dexter et Jon partagent le même Mal, mais il ne se manifeste pas de la même manière. Le premier tue pour rendre « justice » et le second s’adonne au Mal dans l’unique but de se sentir tout puissant et briser la vie des jeunes fleurs qu’il cueille et souille avec ses penchants malsains. D’ailleurs, Jon est un grand amateur de coquelicot, une fleur qui se fane dès l’instant où on la cueille. Mais nous allons un peu trop vite.

Avant d’en arriver là, il faut dire que Jon a eu une enfance particulière à cause de la tragédie qui entoure sa naissance. Il est rejeté par les enfants de son âge, qui ne manquent pas une occasion pour lui balancer des propos cruels à la figure, et les adultes le prennent pour un demeuré. « Le monde ne l’aimait pas, il en était parfaitement conscient » et tout cela laissait Jon de marbre, pourvu qu’il y ait des fourmilières à détruire. En effet, le défouloir favori de Jon Petersen c’est la destruction de fourmilières jusqu’au jour où des gamins, venus l’embêter dans son havre de paix, lui suggèrent qu’il y a des jeux bien plus amusants.

Non contents de le malmener de manière bien cruelle, ses assaillants lui suggèrent de regarder la plus jeune de ses tantes, Hanna, d’une autre manière. Elle aurait « la chatte plus chaude que l’enfer ». Et Jon aime l’enfer. À partir de ce jour, ce garçon qui se bornait à torturer quelques malheureuses fourmis va changer du tout au tout. Jon se met à détester encore plus les faibles et la faiblesse. D’abord, il va se venger de façon terrible sur le chef de ses assaillants, troquer ses fourmis contre les chiens et chats de ses voisins qu’il torture et met à mort, et pour couronner le tout, obnubiler par la chatte de sa tante plus chaude que l’enfer, il ne manquera pas de la violer de la façon la plus ignoble !

Cet événement marquera un tournant dans la vie de l’adolescent, la quête pour retrouver les sensations ressenties cette nuit-là, alors qu’il violait sa tante, le hantera tout le restant de sa vie. Sa capacité de nuisance et le Mal qui l’habite ne cesseront de grandir depuis. Et comme tous ceux qui s’adonnent au Mal, il ne l’emportera pas au paradis…

Au-delà de la fiction, Maxime Chattam touche du doigt ce qu’est réellement le Mal. On ne peut qu’être d’accord avec lui quand il compare l’être humain à une série d’interrupteurs qui s’activent et se désactivent au gré des événements qu’il traverse. D’ailleurs, le fils que Jon aura plus tard, Riley, suivra un chemin diamétralement opposé à celui choisi par son père. Comme quoi une mauvaise terre n’engendre pas forcément une mauvaise récolte et on est tous des acteurs actifs de nos destins.

La fin du livre est emmaillée d’un discours mystico-spirituel qui fait un peu de tort au livre à mon avis, mais donne tout son sens au titre « Que ta volonté soit faite »… Quoi qu’il en soit, ce thriller fort intéressant signé Maxime Chattam aurait gagné plus de puissance si l’auteur avait décidé d’embarquer le lecteur vers une fin dans le même esprit que le début du livre, c’est-à-dire une histoire savoureuse, parfois effroyable, bien ficelée et magnifiquement racontée !