Publié le : 08 juillet 20206 mins de lecture

De nos jours, quand on pense à la Russie, on pense surtout aux goulags, aux opposants politiques, et autres journalistes, assassinés en pleine rue et surtout au Kremlin, ancienne résidence des tsars, aujourd’hui occupé par un ancien agent du KGB qui dirige la Russie, apparemment, d’une main de fer. Alors propagande occidentale ou réalité ? Chacun se fera son idée. Mais on pense moins aux œufs de Fabergé, créé par le génial joaillier Pierre-Karl Fabergé, et encore moins au monument de la littérature russe qu’est Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski.

Les romans de Dostoïevski sont empreints d’une ambiance angoissante. Le libre arbitre ainsi que la question du divin y sont souvent évoqués. Son roman « Crime et Châtiment » paru en 1866 n’échappe pas à la règle.

Dans « Crime et Châtiment », Dostoïevski nous fait découvrir la Russie de l’époque tsarine, la misère extrême du peuple et une question existentielle : la fin justifie-t-elle les moyens ? Ainsi, l’auteur nous amène dans les coulisses de la vie de Raskolnikov, ancien étudiant pétersbourgeois, endetté jusqu’au cou. Un jour, en manque d’argent, Raskolnikov se rend chez une vieille prêteuse à gage, Alona Ivanovna, pour mettre en gage les derniers objets qu’il possède. C’est alors que tout se déclenche. Pourquoi cette vieille possède-t-elle autant d’argent alors que d’autres, plus jeunes et pleins de vie, meurent de faim ? Assassiner cette seule personne pour permettre à des milliers de personnes de vivre décemment grâce à ses biens est-ce vraiment un crime ? Ne serait-ce pas plutôt un bienfait pour toute l’humanité ? De plus, cette vieille, particulièrement méchante et cupide, prévoit de léguer toute sa fortune au monastère du coin, laissant pour seul héritage à sa sœur, Lisaveta, les meubles… Alors, se débarrasser d’un être aussi méchant, est-ce vraiment un crime ? « Est-ce que des milliers d’actes bons et utiles n’effaceront pas ce tout petit meurtre ? » Les choses ne sont, bien évidemment, pas aussi simples.

Quoi qu’il en soit, la graine du crime – crapuleux – et du meurtre – odieux -, à l’encontre de la vieille Ivanovna, avait germé dans l’esprit de Raskolnikov. Aussi, un soir en apprenant par hasard que la sœur de cette dernière, Lisaveta, serait absente le lendemain au matin, il décide de mettre en œuvre l’attentat qu’il mûrissait depuis longtemps. N’étant pas un meurtrier « professionnel », les choses ne se déroulent pas tout à fait comme prévu et la sœur de la vieille perd aussi la vie dans le drame. Dès lors, Raskolnikov ne sera plus jamais le même. « Le terrible aveu dansait sur ses lèvres », il ressentait le besoin grandissant de soulager sa conscience alors qu’il n’était nullement soupçonné du meurtre. C’est là qu’entre en scène un inspecteur de police, une espèce de « lieutenant Colombo », qui ne va arrêter de le harceler dans le but de lui faire avouer son abominable crime.

Au travers de la vie de Raskolnikov, Dostoievski se fend aussi d’une critique de la société de façon générale et de la société russe en particulier. Il dénonce la misère, le manque de compassion envers son prochain et l’avènement du « pognon » roi. « La compassion est même interdite par la science et que l’on fait déjà ainsi en Angleterre, où il y a de l’économie politique. »

Cette œuvre est aussi emprunt d’un discours philosophique sur ce que représente le crime, « réaction contre un ordre social anormal », et ce qu’est la conscience. Certaines personnes affirment que l’infamie de l’homme se fait à tout. À lire l’auteur, je n’en suis plus aussi sur. Car, voyez-vous, il y a une chose qu’on appelle la conscience et on ne cause pas impunément du tort à son prochain sans que cette conscience nous pousse à faire notre mea-culpa. Pour jouir de son crime en toute impunité, il faudrait contester à son prochain sa condition humaine. D’ailleurs, Raskolnikov compare, pour justifier son acte, la victime à un pou. Cela rappelle furieusement les théories fumeuses sur les « êtres inférieurs » lors des grandes conquêtes coloniales et l’extermination des Indiens d’Amérique qui n’étaient, aux yeux de leur bourreau, que des « sauvages », des bêtes en somme. Sans conscience, l’être humain n’est pas mieux qu’une meute de loups dont les membres sont capables de s’entre-dévorer entre eux ! Et il se trouve que Raskolnikov n’est pas dépourvu de conscience puisqu’il comprendra plus tard qu’en mettant à mort la vieille Ivanovna ce matin-là, c’est aussi lui-même qu’il mettait à mort…

Pour plus d'informations : Les Frères Karamazov