Publié le : 08 juillet 202010 mins de lecture

Le chardonneret est un oiseau passereau chanteur au plumage coloré, qui se nourrit de graines de chardon. C’est aussi le titre du nouveau roman fantastique de Donna Tartt comme un clin d’œil à la charmante peinture, datant de 1654, de l’artiste néerlandais Carel Fabritius. Bien qu’étant de petite taille, l’œuvre de Fabritius est considérée comme étant l’un des joyeux de la peinture hollandaise. Il n’en fallait pas plus pour que Tartt fasse de l’oiseau de Fabritius la pièce maîtresse de son fabuleux et dickensien roman, un roman qui démontre tout le talent de conteur de l’auteure, le tout orchestré de façon remarquable piégeant le lecteur dans un univers immersif qui invite à se délecter de chacune des pages jusqu’au bout de la nuit.

« Le Chardonneret » est à la fois un thriller impliquant le vol et la disparition de la peinture de Fabritius, mais aussi un portrait panoramique de New York, et d’une certaine manière de l’Amérique post 11 septembre. Les intrigues du roman ont la saveur des romans d’antan comme « Les grandes Espérances » de Dickens, où il est question de l’histoire d’un orphelin, de son éducation morale et sentimentale et de son mystérieux bienfaiteur. Ce nouveau roman démontre une fois de plus l’incroyable de talent de Tartt dans l’écriture de roman à suspense et sa façon unique de faire vivre ses personnages comme elle le faisait déjà magistralement dans son roman « Le maître des illusions ».

Cette œuvre nous montre combien Tartt arrive à émouvoir ses lecteurs, comment elle peut traiter de questions philosophiques graves et les incorporés dans des questions plus générales – comme distingués une véritable antiquité de contrefaçons -.

Le côté théâtral et presque volontairement gothique dans « Le Maître des illusions » laisse ici la place à une prise de conscience profonde sur ce qu’est la mortalité et les pertes qui définissent la condition humaine ; sa maîtrise et l’approche cérébrale de ses personnages dans ce roman font place à une vive évaluation des complexités de l’esprit et du cœur.

Le narrateur et héros de « Le Chardonneret » est Theo Decker, un gamin intelligent de 13 ans, vivant seul à New York avec sa mère dans un petit appartement à Manhattan, son père, alcoolique invétéré, les ayant abandonnés un jour, subitement, sans laisser de traces. Aussi, Théo a développé une peur profonde de la solitude, craignant que sa mère aussi l’abandonne. Les mathématiques que Theo apprenait à l’école lui servaient donc surtout à compter les heures et les minutes depuis le départ de sa mère de la maison et à faire des suppositions sur le lieu où elle pourrait se trouver et quand elle rentrerait.

Puis un jour, c’est le drame ! Theo et sa mère sont au Metropolitan Museum of Art pour voir une exposition de son tableau préféré – « Le Chardonneret » – lorsque des terroristes font sauter une bombe. La mère de Theo est tuée et la vie du gamin ne sera plus jamais la même.

Dans la confusion générale, Théo fait une étrange rencontre avec un vieil homme blessé et en plein délire. L’homme, qui s’avère être l’oncle d’une belle jeune fille nommée Pippa que Theo avait entrevu au musée avant l’explosion, supplie Theo de sauver « Le Chardonneret » du déluge de feu et lui remet une bague puis lui chuchote des mots énigmatiques : « Hobart et Blackwell. Appuie sur la sonnette verte. » Au sortir du musée, avec les mystérieux objets en sa possession, Theo entre dans un nouveau chapitre de sa vie.

Bientôt, Theo vit à Park Avenue avec les Barbour, riche famille de son ami d’école Andy, tout en travaillant comme apprenti auprès James Hobart, ancien partenaire d’affaires du mourant dans le musée et expert en restauration d’antiquités vivant au-dessus de sa vieille boutique de curiosité à Greenwich Village. Bien que Theo avait l’intention de rendre l’œuvre qu’il avait subtilisée au musée, avec le temps passant, il lui était de plus en plus difficile de se séparer de cette peinture ayant développé un attachement émotionnel profond à l’œuvre, qu’il considère désormais comme un talisman de sa mère bien-aimée.

Quoique cet enchaînement d’événements semble hautement improbable, Tartt est adepte des codes du roman Dickensien – y compris les coïncidences surprenantes qui se muent en soudaine bonne fortune – qu’elle emprunte pour donner à l’histoire de Theo une dimension dure, ainsi que le caractère profondément aléatoire de la vie et le sens de l’humour parfois cruel du destin.

En même temps, les rebondissements puis le retour au calme dans la vie de Theo en disent long sur le rêve américain en lui-même : la promesse du renouveau et de secondes chances, la perpétuelle capacité à se réinventer. De la même manière, les pérégrinations de Theo sont une fenêtre ouverte sur l’évolution du paysage américain et ses bouleversements sociaux. Toujours est-il qu’à peine Theo commence à avoir un semblant de stabilité, apporté par les Barbour et les Hobart, que son vaurien de père, Larry, refait surface avec l’intention de faire valoir ses droits parentaux et étrangement désireux de débarrasser l’appartement de sa défunte femme. Parieurs invétérés, Larry et sa copine ne tardent pas à amener Theo loin de son quotidien pour le désert du Texas.

Tart capture « le vide sidéral » de ce lieu, plein de maisons vides saisies, aussi fidèlement qu’elle l’a fait avec New York. En effet, elle restitue merveilleusement l’anonymat et la ruche qu’est Midtown Manhattan sous la pluie que les rythmes d’un petit village et les néons de Vegas avec précision et acuité.

Il est clair que Theo souffre d’un stresse post-traumatique dû à l’attentat du musée couplé au chagrin de la perte de sa mère, sentiments qui s’accroit bien évidemment dans le désert solitaire du Nevada. Il trouvera son salut en faisant la connaissance d’un nouvel ami : Boris, un enfant de la rue aussi drôle que grossier qui a grandi dans plusieurs pays notamment l’Australie, la Russie et l’Ukraine et qui jouera le rôle de Artful Dodger dans le « Oliver Twist » de Theo. Le personnage de Boris montre la capacité de Tartt à insuffler de la vie et de la profondeur à ses personnages donnant l’impression au lecteur qu’ils ont une vie propre au-delà des pages.

Même les personnages secondaires sont finement dépeints dans « Le Chardonneret » : la mère de Théo, vive et squelettique, une fille du Kansas devenu mannequin puis étudiante en histoire de l’art, source intarissable de connaissances à propos de New York et maman poule de son unique enfant ; Pippa, l’espiègle, une jeune fille rousse que Theo considère également comme une survivante et une sorte d’âme sœur.

A Las Vegas, Theo et Boris vont passer beaucoup de temps à boire et à se défoncer, mais avec des motivations différentes. Comme Boris l’avouera plus tard : « J’essayais de m’amuser et d’être heureux […] Toi, tu voulais mourir. C’est différent. » En fait, le traumatisme de la mort de sa mère et l’angoisse que quelque chose de terrible soit arriver à son père ont amené Theo à développer une forte dépendance aux opiacés.

De retour à New York, Theo rejoint la boutique d’antiquité d’Hobart et tente de reprendre sa vie en main. Il ne fallut pas longtemps pour qu’il se retrouve dans une situation délicate de nouveau : un client menace de dévoiler qu’ils vont passer des faux pour des antiquités rares et coûteux, et les enquêtes sur la disparition du tableau « Le Chardonneret » battent leur plein. Il y a même des théories absconses comme quoi la peinture servirait de monnaie d’échange dans les transactions de trafic de drogues.

Tartt raconte ces événements avec une maîtrise complète et la verve narrative, donnant même un sentiment de fatalisme aux événements les plus improbables, le tout orchestrer d’une main de maître et des actions gagnant en intensité à mesure que l’histoire se développe, en témoigne la rencontre de Theo avec de dangereux criminels qui convoitent eux aussi le « Le Chardonneret ». Mais ce livre n’est pas seulement un récit narratif à suspense, il s’agit aussi d’une histoire d’amitié entre deux personnes, Theo et Boris, et ils auront à n’en point douter une place de choix dans l’esprit et le cœur du lecteur.