Être laïque serait d’avoir des mœurs légères et être croyants impliquerait de s’habiller plus « décemment » et avoir un sens moral plus élevé. Imaginons qu’un jour la France, par la démographie ou les conflits absurdes entre politiques, devient musulmane. Cela impliquerait-il un islam rigoriste à l’image de l’Arabie Saoudite ou serait-ce un islam plus modéré comme on peut le voir dans d’autres pays musulmans ? La dernière fiction – futuriste ? - de Michel Houellebecq répond à cette question selon un point de vue tout à fait personnel.
Nous sommes en 2022, le renoncement de la gauche, les deux mandats présidentiels absolument désastreux de François Hollande et les éternelles querelles entre la droite et la gauche – « deux gangs rivaux » se partageant le pouvoir - et leur incapacité à répondre aux inquiétudes des Français ont permis l’émergence du Front National qui est désormais le premier parti de France avec 34 % des votes exprimés. De fait, le parti d’extrême droite arrive au second tour de l’élection présidentielle. En revanche, une incertitude subsiste concernant la seconde place : la gauche, le parti socialiste, est ballottée de près par le parti musulman de Mohammed Ben Abbes. Après une soirée électorale sous haute tension, un présentateur célèbre du journal de 20h de France 2 annonce la qualification du candidat de la Fraternité musulmane au second tour. C’est une double consternation pour les laïques et les républicains !
La droite républicaine, arrivée en quatrième position avec seulement 12,1% des voix, se refuse à donner des consignes de vote et la gauche, à qui le parti musulman a promis la moitié des ministères, prévoit déjà de faire alliance avec la Fraternité musulmane. Après quelques jours de tractation et une guerre civile entre identitaires de l’extrême droite, « les indigènes de l’Europe », et jeunes musulmans djihadistes, « les colonisateurs », originaires essentiellement de cité ; droite, gauche et centre décident de faire un « front républicain élargi » contre le parti d’extrême droite propulsant ainsi le parti musulman au pouvoir avec comme président Mohammed Ben Abbes. Dès lors, fini les mini-jupes, le travail des femmes et leur admission dans certaines filières universitaires, promotion de la polygamie et des élites musulmanes, d’où la conversion à l’islam d’un certain nombre intellectuel, élargissement de l’Europe aux pays maghrébins, « Eurabia », sous l’impulsion du nouveau président de la République, exile des juifs en Israël… Voilà en substance la fiction que nous propose Michel Houellebecq sur la « montée en puissance » de l’islam en France. Alors alarmiste ou visionnaire ?
Cette fiction est racontée du point de vue d’un professeur de lettre, spécialiste de Joris-Karl Huysmans, qui voit son paysage changé à mesure que la société française s’islamise. Alors qu’avant, les femmes voilées rasaient les murs, les voilà maintenant se promener fièrement dans les rues et les couloirs des universités. Le héros du roman ne tarit pas d’éloges à l’égard des Asiatiques qui ont toujours refusé l’installation des Noirs et des Arabes dans leur quartier leur évitant ainsi d’être touchés par les transformations qui s’opéraient dans le pays. C’est le raccourci classique: Noir ou Arabe égal musulman, mais aussi délinquant égal membre de ces communautés. Mais il ne s’arrête pas en si bon chemin. On retrouve pêle-mêle: la dénonciation de l’antisémitisme d’une partie de gauche et le projet secret de la droite et de la gauche pour la dissolution de la France au sein d’un « ensemble fédéral européen », le plaidoyer pour le patriarcat, valeur qui a permis la pérennisation de la civilisation européenne jusqu’à présent, retour au mariage de raison par opposition au mariage d’amour… En fait, dans « Soumission », tout le monde en prend pour son grade. Ce livre, présenté comme islamophobe, égratigne plus les médias dont « l’absence de curiosité (est) vraiment une bénédiction pour les intellectuels » et la classe politique, des « crétins » sans vision, que l’islam en réalité. Il pointe du doigt la résignation des Français face à la montée en puissance du religieux et des conservatismes les plus archaïques, en plus du désamour pour la politique. Profitant de cette situation, les extrémistes de droite s’arrogent la propriété de la citoyenneté française alors que la plupart connaissent finalement très peu du pays dont ils se réclament les enfants légitimes. Le renoncement de la gauche à critiquer certains comportements dès lors que cela implique des Français d’origines étrangères, car elle associerait cela à du racisme.
Pour les protagonistes du livre, la civilisation européenne est en train de se suicider. Le retour aux valeurs traditionalistes, à savoir la soumission de la femme à l’homme et la soumission de ce dernier à Dieu, pourrait permettre de rectifier le tir. Car, le « sommet du bonheur humain réside dans la soumission » et de citer l’« Histoire d’O », une fiction de Pauline Réage racontant le récit d’une femme libre et indépendante qui décide volontairement de devenir l’esclave de son amant, pour appuyer leur dire. Aussi, « les femmes musulmanes (seraient) dévouées et soumises ». Les femmes asiatiques sont également dévouées et soumises. Il s’agit ici plus d’une tradition que de la religion en elle-même. La femme européenne aussi était soumise, catholicisme oblige, avant les combats pour leur droit. Combat d’ailleurs complètement dénaturé par des féministes « chiennes de garde » qui font plus de mal que de bien au féminisme.
On peut tout de même reconnaître à Houellebecq d’être un très bon écrivain, d’avoir de l’imagination, beaucoup d’imagination, et même une certaine connaissance de l’islam. Mais rien n’est plus différent d’un musulman qu’un autre musulman. On entend souvent des théories sur le « grand remplacement », la mort de la civilisation européenne pour une autre civilisation musulmane celle-là. Mais qu’est-ce qu’une civilisation et par extension un citoyen ? Un Noir ou un Arabe, d’ailleurs le mot berbère serait plus approprié pour désigner les personnes d’origine Maghrébines, né en France, ayant grandi en France, et ayant épousé la culture française, ne pourra-t-il jamais, quoi qu’il fasse, faire partie de la civilisation française, et par extension européenne ? Des citoyens qui aiment profondément leur pays, peu importe leur couleur de peau, devront-ils toujours être considérés comme des citoyens de seconde zone et être soupçonnés de trahison en faveur d’autres pays notamment les pétromonarchies du Golfe ?
Contrairement aux journalistes qui affirment que le livre de Houellebecq est raciste et attise la haine, moi au contraire, je pense que ce livre invite à réfléchir. Cela ne veut pas dire que j’adhère aux idées de Houellebecq, mais si nous nous refusons d’aborder des problèmes épineux, car ils peuvent avoir une connotation « raciale » nous ne sommes finalement pas mieux que les gens qui prêchent l’obscurantisme et vont jusqu’à liquider des journalistes parce qu’ils ne se soumettent pas à la volonté d’une quelconque religion.
Le héros du roman, « Français de souche », au fil des pages montre et admet sa méconnaissance de l’autre, celui qu’il voit comme un « étranger ». On tombe dans les raccourcis courants de l’extrême droite, ou une couleur correspond à une religion. Mais au risque de me répéter sait-on qu’il y a des Noirs chrétiens, des Arabes juifs, des Israéliens athées ? Le renoncement à la laïcité est le péril qui guette notre pays et non un hypothétique péril musulman. C’est la soumission de la république, du fait de l’antiracisme le plus aveugle, qui conduira à la guerre civile et autre situation alarmiste décrite dans ce livre. Soyons tous vigilants et tâchons de faire en sortes que la religion reste ce qu’elle aurait toujours dû être : des convictions personnelles. Nul ne doit imposer ses vues, quelle que soit sa religion, aux autres, car la religion est une affaire personnelle. Et les religions, qui sont politiques par nature, doivent faire leur dépoussiérage pour qu’elle soit en accord avec la république. Car, oui, c’est bien aux religions de se soumettre à la république et non le contraire. Enfin, l’auteur, ou plutôt son personnage, admet son côté un peu réac puisqu’il écrit à la fin du livre : « le passé est toujours beau, et le futur aussi d’ailleurs, il n’y a que le présent qui fasse mal ». Eh bien, j’ai envie de dire croyons en l’avenir et si cette œuvre de Houellebecq contribue à éveiller la vigilance des citoyens pour la sauvegarde de la laïcité, c’est tant mieux !