Six ans après avoir perdu son seul et véritable amour au profit d’un autre homme, Jake Fisher est toujours hanté par les souvenirs et les questions. Était-ce juste une romance d’été ? Une brève évasion du monde réel ? Jake ne croit guère à cela. Sur sa voie pour être professeur, terminant la rédaction d’une thèse en science politique dans une retraite dans le Vermont, il rencontre Natalie, une peintre, en bas de la route. C’est alors que soudainement, elle se marie avec un ancien petit-ami, et Jake avait accepté, à sa demande, de les laisser tranquilles. Jake est un homme qui tient toujours parole … tout du moins jusqu’à ce qu’il apprenne la mort du mari de Natalie. Étant désormais libre, Jake peut bien lui tendre la main de nouveau, n’est il pas ? Ce mariage au début du roman est rapidement suivi par un enterrement, où Jake espère renouer avec la fraîchement veuve Natalie. Le seul problème : la femme avec le grand chapeau noir n’est pas Natalie et les enfants du défunt sont trop vieux pour être la progéniture d’un second mariage. Pour compliquer le tout : lorsque Jake appelle la sœur de Natalie, elle ne le connait pas. À son retour dans le Vermont, aucun de ces visages jadis familiers ne se souvient de lui. A-t-il imaginé toute cette histoire d’amour ? Le meilleur ami de Jake avance cette possibilité. Il a traversé des moments difficiles, il n’y a pas si longtemps après tout. Mais Jake en sait plus. Et les indices suggèrent que quelque chose de sinistre est en train de se dérouler. Il s’avère que le prétendu mari de Natalie a été assassiné, quelqu’un semble avoir suivi Jake alors qu’il rentrait du Vermont, et puis il reçoit un email qui pourrait bien être de Natalie elle-même. Les lecteurs de Harlan Coben savent qu’il est mètre dans ce type d’intrigue : une vie qui s’écroule soudainement, l’évocation du passé dans un rapide changement du présent, l’épluchage des secrets pour révéler encore plus de secrets (les cinéphiles se souviendront du film « Ne le dis à personne » adapté d’un de ses plus célèbres romans). Avec « Six ans déjà », l’auteur montre une fois de plus qu’il n’a rien perdu de son talent. Ce qui est impressionnant ici, c’est à quel point l’histoire est justement construite, avec l’intrigue qui se répète à plusieurs reprises sur elle-même, ne se déplaçant jamais loin des sentiers battus. La beauté de l’œuvre de Coben est, qu’encore une fois, il arrive à nous leurrer en cachant son intrigue clairement juste devant nos yeux, mais nous ne la percevons pas, pas avant la fin. En tant que narrateur, Jake est assez expansif et sympathique, ce n’est pas qu’il aime parler, il est carrément bavard, même dans les scènes tendues (je me souviens de cette scène où il disserte de l’adrénaline alors qu’il est poursuivi par des bandits armés jusqu’aux dents). Sa détermination contre vents et marrées semble tout à fait naturelle, aussi : son amour triomphera ! Mais la description de la profondeur de cet amour est un point faible du roman. Lorsque Jake nous offre un grand monologue en expliquant pourquoi il ne peut pas se passer de Natalie, il est question de moments à lui couper le souffle, de vivre que pour son rire, de ne voir que par ses yeux, de regretter tous les moments passés loin d’elle et, finalement de juste écouter son cœur… À la décharge de Coben, il semble reconnaître que la description des sentiments dans son roman fait clichés. Jake ferra d’ailleurs une blague là-dessus. Au milieu des furieux rebondissements et ces denses connexions toujours plus épaisses, l’expression émotionnelle n’est pas ce qui habite le plus ce roman. Mais quand Jake réalise ce qui est en train de se passer, « Six ans déjà » offre un récit poignant à hauteur de ses sentiments. Les événements qui vous définissent, les souvenirs qui constituent votre vie – et s’ils étaient tous embourbés dans la confusion, construite sur un malentendu, ou pire un mensonge flagrant ? Que faire si vous étiez responsable, en partie, des faux pas qui ont contribué à changer le cours des choses ? Autant de questions subtiles que soulève ce roman.